Interruption du chantier - que faire en cas de défaillance d’un maître de l’ouvrage professionnel ?

La crise que traverse le secteur du bâtiment conduit à la faillite de nombreux maîtres de l’ouvrage privés (promoteurs notamment). Les entreprises du bâtiment se retrouvent confrontées à des situations de travaux impayées qui peuvent les mettre en péril. Quels sont alors leurs moyens d’action ?
14:1208/11/2024
Rédigé par FFB Nationale
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Batiment Actualité Numéro 19 | novembre 2024

L’impayé est, pour l’entreprise, un incident qui peut se révéler lourd de conséquences, voire mettre son existence en péril. Quelques précautions sont donc à prendre pour l’éviter et, lorsque survient le risque de défaillance du maître de l’ouvrage, des actions peuvent être engagées.

 

La garantie de paiement : un rempart incontournable pour préserver sa trésorerie

 

Dispositif vital1, la garantie de paiement est le moyen par excellence pour éviter les impayés en cas de défaillance du maître de l’ouvrage. L’article 1799-1 du Code civil impose en effet au maître de l’ouvrage professionnel de garantir le paiement des sommes dues à l’entrepreneur lorsque le montant du marché dépasse 12 000 € HT2.

 

Cette garantie de paiement, que le maître de l’ouvrage doit fournir avant le commencement des travaux, permet à l’entreprise d’être payée, même si le maître de l’ouvrage est en situation de redressement ou de liquidation judiciaire.

 

Bien que de nombreuses entreprises soient frileuses à la demander, à l’heure où certains promoteurs donnent des signes de défaillance, la question ne peut plus être éludée.

 

En cas de défaillance, deux cas sont à distinguer :

 

  • lorsque le maître de l’ouvrage recourt à un crédit spécifique, le montant du prêt est bloqué tant que l’entrepreneur n’a pas reçu le paiement de l’intégralité de la créance née du marché correspondant au prêt (article 1799-1 du Code civil, 2e alinéa). Il sera libéré soit à la suite d’un accord avec le maître de l’ouvrage, soit après une décision judiciaire ;
  • lorsque le maître de l’ouvrage ne recourt pas à un crédit spécifique ou lorsqu’il y recourt partiellement, et à défaut de garantie résultant d’une stipulation particulière3, le paiement est garanti par un cautionnement solidaire consenti par « un établissement de crédit, une entreprise d’assurance ou un organisme de garantie collective4 ».

 

L’entreprise sera payée par la banque du maître de l’ouvrage, dès lors qu’elle apportera la double preuve écrite suivante :

 

  • sa créance est certaine, liquide et exigible. Il s’agira, par exemple, d’une situation validée par le maître d’œuvre et non contestée par le maître de l’ouvrage, un solde devenu définitif ou une décision de justice définitive ;
  • le maître de l’ouvrage est défaillant du fait du non-paiement d’une facture après mise en demeure restée sans réponse, ou du fait de sa liquidation judiciaire5.

 

La suspension des travaux en cas de défaut de paiement

 

Un défaut de paiement peut permettre à l’entreprise de suspendre l’exécution des travaux6. Entre professionnels, cette possibilité est organisée par l’article L. 124-2 du Code de la construction et de l’habitation, après mise en demeure, adressée au maître de l’ouvrage, restée infructueuse pendant 15 jours. L’entrepreneur ne sera tenu d’en reprendre l’exécution que lorsque les paiements auront apuré entièrement le passif antérieur.

 

Dans la norme Afnor NF P 03-0017, applicable si elle est citée comme document contractuel du marché, l’article 10.3.2.1 prévoit également cette possibilité : « En aucun cas, un entrepreneur ne peut suspendre les travaux pour défaut de paiement sans avoir prévenu par lettre recommandée le maître de l’ouvrage et le maître d’œuvre au moins quinze jours à l’avance. »

 

Les conséquences de l’interruption des travaux

 

Le maître de l’ouvrage qui n’a pas payé les sommes dues à l’entrepreneur doit supporter les conséquences du blocage dont il est la cause (le retard de livraison et le préjudice subi par l’entrepreneur : plan de charge perturbé, surcoût de la location de matériel…). Le marché n’est pas résilié, seule l’obligation de l’entrepreneur de poursuivre l’exécution des travaux est suspendue.

 

Le maître de l’ouvrage reste tenu par l’obligation de payer les travaux réalisés et de verser les pénalités de retard de paiement. Aucune pénalité de retard ne peut être appliquée à l’entrepreneur.

Aucune pénalité de retard ne peut être appliquée à l’entrepreneur. L’interruption des travaux pose la question de la garde des ouvrages, conservée en principe par l’entrepreneur jusqu’au jour de la réception. Afin de décharger l’entreprise, il faut impérativement faire dresser, au moment de l’arrêt des travaux, un constat contradictoire qui opérera contractuellement le transfert de la garde juridique du chantier sur le maître de l’ouvrage.

 

Si le maître de l’ouvrage persiste dans son refus de payer les situations dues à l’entreprise, aux termes de l’article 22.1.3 de la norme Afnor NF P 03-001 « Résiliation du fait du maître de l’ouvrage » : « L’ajournement ou l’interruption fractionné ou continu de plus de six mois, peut entraîner résiliation du marché par l’entrepreneur aux torts du maître de l’ouvrage. »

 

Cette résiliation est de plein droit et ouvre droit à une indemnité au profit de l’entrepreneur.

 

Si les travaux sont suspendus et que l’entrepreneur s’était vu délivrer une garantie de paiement, il doit écrire à la banque du maître de l’ouvrage afin de prolonger le délai de validité de la caution.

 

La retenue de garantie : le maître de l’ouvrage doit la restituer

 

Trop souvent, le maître de l’ouvrage défaillant refuse de restituer la retenue de garantie, ce qui pose des problèmes de trésorerie non négligeables aux entreprises.

 

Si les travaux ont été réceptionnés, la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 sur la retenue de garantie, d’ordre public, prévoit que, sauf opposition motivée du maître de l’ouvrage, la retenue de garantie est libérée un an après la réception des travaux. L’article 2 de la loi précitée précise : « L’opposition abusive entraîne la condamnation de l’opposant à des dommages-intérêts. »

 

Le point de départ du délai d’un an au terme duquel la caution est libérée est la réception des travaux prononcée par le maître de l’ouvrage : il est donc fondamental de réclamer dans tous les cas au maître de l’ouvrage un procès-verbal de réception signé. Ce document sera généralement demandé par les établissements bancaires qui auront délivré une caution bancaire en remplacement de la retenue de garantie.

 

Cependant, même en cas d’absence de PV de réception, l’entreprise peut obtenir le paiement de la retenue de garantie lorsqu’elle n’est pas consignée8, et le maître de l’ouvrage ne peut pas contester la demande de libération de la retenue de garantie.

 

Quels moyens de recouvrement en cas d’impayé ?

 

Si la défaillance du maître de l’ouvrage se confirme et qu’il ne paie pas, plusieurs moyens de recouvrement sont possibles.

 

La lettre de relance

 

Dès le premier incident, une simple lettre, courtoise mais ferme, pour rappeler au maître de l’ouvrage le paiement des sommes dues et un nouveau délai de paiement (huit jours maximum) doit être adressée par l’entreprise. Si le maître de l’ouvrage ne répond pas à ce courrier, il faut passer rapidement à l’étape suivante.

 

La mise en demeure de payer

 

Après écoulement du délai fixé dans la lettre de relance, le courrier de mise en demeure, qu’il est conseillé d’adresser au maître de l’ouvrage en lettre recommandée AR, déterminera le montant de la somme due. Il fixe le point de départ des pénalités dues par le maître de l’ouvrage à l’entreprise, à la suite du retard de paiement.

 

La sommation de payer

 

Pour donner plus de poids à ce courrier, l’entreprise peut faire une sommation de payer, qui est une mise en demeure portée par huissier (son coût est de l’ordre de 100 à 150 euros).

 

Les moyens simplifiés de recouvrement

 

Si l’insolvabilité du maître de l’ouvrage est acquise et que les moyens précédents sont sans effet, des moyens simplifiés de recouvrement peuvent être mis en œuvre par l’entreprise.

 

  • la dation en paiement, qui consiste à payer par équivalent, le plus souvent en nature. Le maître de l’ouvrage pourra ainsi s’acquitter de son obligation par la remise à l’entreprise de biens meubles (mobilier, véhicule, etc.) ou de biens immeubles (appartement et/ou parking devant notaire). La dation n’éteint l’obligation de payer qu’à due concurrence de la valeur du bien remis9 ;
  • la médiation, obligatoire pour tous les litiges inférieurs à 5 000 €. Il s’agira d’une déclaration auprès de la chambre de proximité du tribunal judiciaire, avec une procédure dématérialisée.

 

La saisine du tribunal

 

En cas d’échec de règlement à l’amiable, l’entreprise pourra recourir à la solution contentieuse, qui pourra prendre plusieurs formes :

 

  • L’injonction de payer, qui exige peu de formalités et qui se révèle relativement rapide et peu coûteuse10. Pour les créances inférieures à 5 000 €, il faudra d’abord proposer un règlement amiable du litige avant d’entamer la procédure d’injonction de payer. Pour les litiges supérieurs à 10 000 €, le ministère d’avocat sera obligatoire.
  • Le référé-provision, procédure rapide et efficace, mais le plus souvent provisoire11. Lorsque la créance n’est pas contestable dans son principe et que le maître de l’ouvrage est récalcitrant ou conteste, à tort ou abusivement, le montant de la dette, le juge civil ou commercial peut accorder, avant tout examen au fond du litige, une provision à l’entreprise.
  • Une assignation au fond, selon la qualité du maître de l’ouvrage devant le tribunal de commerce ou le tribunal judiciaire, qui permet de définir le montant de la somme due et d’obtenir une décision de justice qui reconnaît le droit à paiement de l’entreprise et permet un recouvrement forcé.

 

  1. Cf. Bâtiment actualité n° 19 du 15 novembre 2023.
  2. Cf. Bâtiment actualité n° 13 du 13 juillet 2022 et n° 8 du 26 avril 2023.
  3. Par exemple, consignation des sommes dues, hypothèque.
  4. https://acpr.banque-france.fr > Protéger la clientèle > Vous êtes un particulier > Vérifier si un professionnel est agréé/ immatriculé..
  5. Cf. Bâtiment actualité n° 8 du 26 avril 2023.
  6. Bâtiment actualité n° 16 du 2 octobre 2024.
  7. Norme Afnor NF P 03-001 applicable aux marchés de travaux privés de bâtiment, octobre 2017.
  8. Article 1342-4 du Code civil.
  9. Cour de cassation, 13 juillet 2023, n° 22-13 803.
  10. Articles 1405 et suivants du Code de procédure civile.
  11. Articles 808 et suivants du Code de procédure civile.

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