Philippe Gruat préside la Fédération de l'industrie du béton et le Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton. Ingénieur ESTP, il a effectué l'essentiel de sa carrière au sein de groupes industriels, principalement dans la filière des matériaux et produits de construction. Il est aujourd'hui président du groupe Eurobéton Industrie, implanté dans l'Est de la France.
Quel est le profil des entreprises réunies au sein de la FIB ?
La Fédération de l'industrie du béton (FIB) rassemble 550 entreprises industrielles, qui fabriquent des produits et systèmes constructifs en béton. Ces entreprises emploient au total près de 18 000 salariés et comptent plus de 650 sites de production en France. C'est une industrie très locale, ancrée dans les territoires, près des chantiers, comme le sont d'ailleurs nos fournisseurs de matières premières que sont les carriers et les producteurs de ciment. C'est un avantage indéniable à l'heure de l'économie circulaire. Les produits que nous réalisons sont très diversifiés, depuis le bloc béton et la poutrelle standard, qui correspondent à des offres sur catalogue, jusqu'aux fabrications spécifiques comme les poteaux-poutres, les pré-murs ou les systèmes intégrant tous les composants d'un mur, que nous concevons en fonction des besoins de nos clients. Dans cette seconde catégorie, la valeur ajoutée développée dans nos bureaux d'études et nos sites de production permet d'aller très loin dans les solutions « fabriquées et assemblées en usine ». Ce qui répond notamment aux besoins de projets complexes, mais aussi aux enjeux de rapidité d'exécution de certains chantiers et à leurs contraintes logistiques.
Le BIM est-il un enjeu important pour l'industrie du béton ?
C'est une formidable opportunité. Numériser nos produits, avec toute l'information associée sur leurs caractéristiques et la façon dont on les met en œuvre, favorisera leur utilisation par les concepteurs et les entreprises, pour les solutions génériques comme pour les solutions spécifiques. Nous sommes déjà bien avancés, au sein de la FIB et dans le cadre des travaux de l'AIMCC 1, dont nous sommes adhérents, dans l'élaboration de référentiels génériques, afin d'adopter une même définition des caractéristiques d'un bloc-béton ou d'un pré-mur. Sur la base de ce langage commun, chaque industriel ajoutera ensuite les spécificités de sa propre production. Des produits comme les nôtres sont parfaitement adaptés à la « bimisation » de la construction. Grâce à la numérisation et à la fluidité de l'information entre les différents acteurs, on mettra de plus en plus l'accent, en amont du chantier, sur la conception, afin d'optimiser la phase d'exécution des travaux. Et plus les projets seront complexes, plus on développera cette phase amont en calculant, en fabriquant et en prédéfinissant précisément les composants et les modes d'assemblage de la structure d'un bâtiment. C'est aujourd'hui une nécessité pour des réalisations ultra sophistiquées comme la Fondation Louis Vuitton à Paris, où il n'y a pas une pièce identique à une autre. Demain, ce seront les enjeux de productivité qui pousseront dans cette voie pour des projets de toute dimension. D'ailleurs, nos collègues scandinaves nous montrent la voie : à cause de leur climat, la durée de leurs chantiers est limitée, ce qui les a poussés à développer beaucoup plus que chez nous la préfabrication - qui peut s'opérer toute l'année.
Quels sont les champs d'innovation en matière de matériaux et de produits béton ?
L'innovation permet déjà de produire, depuis de nombreuses années, des bétons aux performances mécaniques très élevées, comme le béton fibré ultra-hautes performances (BEFUHP), qui a été utilisé par exemple pour construire la structure et la « dentelle » du Mucem à Marseille. Pour des questions de coût mais aussi de complexité des normes et procédures du type ATEx, on exploite encore peu aujourd'hui de telles innovations. Des progrès sont en cours aussi en matière de performance énergétique : en introduisant dans le béton des matériaux qui ont un pouvoir isolant comme l'argile ou le schiste expansé, on multiplie sa résistance thermique par 3 ou 4. Grâce au Cerib 2, qui est un laboratoire unique en Europe, la France est en pointe en matière de recherche associée au béton. Actuellement, le Cerib et tous les acteurs de la filière travaillent activement sur les aspects de développement durable et d'économie circulaire. Parmi les principales pistes dans ce domaine, on peut citer l'utilisation de nouveaux granulats agro-sourcés comme le chanvre et le lin, de coproduits d'industries comme les laitiers de fonderie ou les cendres de centrales thermiques, et de granulats recyclés, issus de bétons de démolition sélectionnés et concassés. Que répondez-vous à ceux qui mettent en cause l'empreinte carbone du béton ? Les détracteurs du béton se focalisent généralement sur un seul critère : les émissions de CO2 liées à la fabrication à très haute température du ciment. Rappelons d'abord que le ciment est un produit naturel, issu du broyage de calcaire et d'argile, et que pour cuire ce mélange on utilise partiellement des combustibles provenant de résidus d'autres industries. Surtout, le bilan est très largement positif si l'on prend en compte l'ensemble des critères de développement durable : la durabilité - nos produits tiennent largement cent ans ; l'inertie thermique du béton, encore meilleure que celle de la pierre ; le confort acoustique ; la sécurité sismique et incendie ; la qualité de l'air intérieur, en l'absence d'émissions de composants organiques volatils (COV)... Tous les efforts d'innovation menés aujourd'hui par l'ensemble de la filière visent à réduire encore l'impact environnemental des produits béton en optimisant les compositions et les process de fabrication. Nous travaillons aussi, dans la perspective de la déconstruction ou de la rénovation des bâtiments, sur les solutions qui faciliteront le démontage et la séparation des systèmes et composants sur chantier, en vue de leur recyclage ou de leur réutilisation. En somme, nous militons et nous agissons pour une construction raisonnée, où l'on ne privilégie pas seulement les solutions monocritère du moment mais où l'on prenne en compte tous les impacts à long terme sur l'environnement. Et nous sommes dans une vraie logique de filière industrielle, avec ce que cela implique d'efforts collectifs pour gagner en performance dans tous les domaines - technique, économique, environnemental...
À plus court terme, comment se porte le marché de l'industrie béton et quelles sont ses perspectives ?
Nos entreprises, qui travaillent à 60 % pour le bâtiment et à 40 % pour les travaux publics - et pour l'essentiel en construction neuve - ont été durement impactées par la crise économique et ont connu une baisse sensible d'activité entre 2008 et 2015. En 2016, si la situation demeure difficile dans les travaux publics, on sent une légère amélioration dans le bâtiment. À plus long terme, nous voyons se dessiner des tendances porteuses pour nos métiers avec les grands projets urbains et la nécessité de renouveler en profondeur l'habitat et les infrastructures des grandes agglomérations. Dans le cadre du Grand Paris par exemple, 70 gares vont être créées sur le parcours des nouvelles lignes de transports en commun, ce qui va générer à chaque fois de multiples chantiers de bâtiments et d'équipements. Nos solutions industrielles, avec les performances que je viens d'évoquer et avec les progrès que permettront encore demain la numérisation et les avancées de l'économie circulaire, sont totalement en phase avec ces enjeux de renouvellement du tissu urbain.
1
Association des industries de produits de construction.
2
Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton.