Comment l'AQC remplit-elle sa première mission, qui est l'observation des pathologies ?
Permettez-moi de souligner d'abord que le secteur de la construction dispose avec l'AQC d'un dispositif unique dans le monde, qui se caractérise par son ouverture à tous les acteurs de nos métiers au sens large, par sa collégialité et par sa crédibilité, fondée sur sa neutralité. C'est un bel outil qui donne du sens à tout ce que font les professionnels pour améliorer la qualité de la construction.
Concernant plus précisément l'observation des pathologies, nous nous appuyons principalement sur la base Sycodés (Système de collecte des désordres), qui est alimentée par les fiches d'analyse de sinistres remontant des experts de l'assurance. Pour en faire un outil pleinement opérationnel, le rapport Sycodés réalisé chaque année sera accompagné désormais d'une brochure très synthétique indiquant les grandes tendances et les axes d'amélioration en matière de pathologies. Toutefois, la sinistralité globale peut rester étale, ce qui est la tendance générale, et recouvrir des évolutions contrastées. Si l'on constate plutôt une amélioration sur les techniques courantes, de nouvelles sources de sinistralité apparaissent quand on est en situation d'innovation. La recherche de la qualité dans la construction est donc un mouvement permanent. Les tendances que nous observons et analysons s'appliquent à des bâtiments construits depuis plusieurs années, d'où la nécessité d'être en anticipation en détectant des « signaux faibles ». Le dispositif Alerte mis en place par l'AQC répond à cet objectif. Enfin, l'AQC a créé récemment des outils d'anticipation avec REX Bâtiments performants et Vigirisques, qui abordent les dommages émergents et les risques de dommages futurs.
Comment analyser des techniques innovantes quand on n'a pas de recul sur les risques qui peuvent leur être associés ?
Effectivement, les grilles d'évaluation existantes, qui sont par définition fermées, n'ont pas cours face à l'inconnu que constitue l'innovation. La bonne approche doit être ouverte et collégiale. Elle consiste à réunir tous les acteurs et les sensibilités pour faire émerger une analyse cohérente de l'innovation. C'est le rôle de la Commission Prévention Produits de l'AQC, dont les travaux débouchent sur la « liste verte » des produits ou procédés qui font l'objet d'un Avis technique ou d'un Document technique d'application. Mais au-delà de toutes ces procédures, n'oublions pas l'essentiel : celui qui va faire qu'une innovation va se développer, c'est le consommateur. Si un produit innovant répond à son besoin et s'il est accessible, il deviendra à terme un produit mature. À condition bien sûr qu'il soit fiable - et c'est là que le processus d'évaluation peut contribuer à bâtir une chaîne de confiance qui va jusqu'au consommateur.
La performance d'un produit est aussi liée à sa mise en œuvre...
Tout à fait. Au-delà de la valeur intrinsèque du produit, la mise en œuvre est prépondérante. D'où la nécessité, notamment face au défi de la transition énergétique, d'accompagner la montée en compétences des entreprises. C'est tout l'enjeu du programme PACTE, qui prend le relais de RAGE. Tous les acteurs de la construction se sont mis autour de la table pour moderniser nos règles de l'art en réponse à ce défi. La mission de l'AQC, qui est l'opérateur du programme PACTE, est aujourd'hui de rendre ces informations disponibles au plus près du terrain, au travers de documents simples et accessibles, et en nous appuyant sur les supports numériques qui deviennent des outils courants sur les chantiers. Sur le fond, alors que les entreprises ont été habituées jusqu'à présent à une logique de moyens, il s'agit pour elles d'entrer dans une nouvelle logique de performance - énergétique, acoustique, sanitaire, mais aussi performance liée aux usages, qui vont prendre une importance croissante avec le développement du numérique. Il y aura de plus en plus d'innovations arrivant sur le marché, dont les concepteurs et les entreprises devront s'approprier la mise en œuvre. J'y vois un challenge positif. Le bâtiment a l'opportunité de montrer qu'il est un secteur en pleine évolution, qui a besoin de talents dans ses filières pour relever les défis de l'innovation.
Dans cette montée en compétences, le BIM joue-t-il selon vous un rôle important ?
Oui, à condition que les plateformes BIM proposent des outils simples et adaptés aux besoins des utilisateurs. Plus généralement, le monde du bâtiment est collaboratif par nature. Il est habitué à travailler dans des configurations qui changent tout le temps, pour réaliser à chaque fois un ouvrage unique. Beaucoup d'entreprises, dans d'autres secteurs, aimeraient avoir la même adaptabilité.
Je ne suis donc pas inquiet sur la capacité des professionnels du bâtiment à s'approprier le BIM, qui est en phase avec leur culture. Associé à la montée en compétences, le BIM va les aider à gagner en méthode, en fluidité dans leurs processus.
Et si, au-delà des concepteurs, des industriels et des constructeurs, on élargit le cercle du BIM aux utilisateurs, aux mainteneurs et aux gestionnaires des bâtiments, c'est toute la chaîne des métiers du bâtiment qui va gagner en performance !
Le programme PACTE porte aussi sur le développement de l'autocontrôle. Comment faut-il l'aborder selon vous ?
L'autocontrôle et les systèmes de contrôle ont du mal à émerger, souvent par crainte de « l'usine à gaz », sans doute en référence aux démarches qualité des dernières décennies. Pourtant, l'autocontrôle peut prendre des formes très simples, par exemple lorsqu'un encadrant discute à la fin de la journée avec un ouvrier sur le chantier pour repérer ensemble les points à améliorer.
Le but n'est pas de stigmatiser l'erreur, mais d'être en capacité de comprendre ce qui dysfonctionne, pour ne pas le reproduire. Vis-à-vis du client, l'autocontrôle est aussi un signe tangible de la dynamique d'amélioration dans laquelle l'entreprise est engagée.
Si je réalise par exemple des photos au moment d'une fermeture de doublage, je garde la trace des gestes qui ont été effectués, ce qui est utile pour l'entreprise mais aussi pour le client qui voit comment son chantier avance.
Certes, je dois faire l'effort de parler au client dans son langage, mais je me dois aussi de bâtir avec lui un lien qui passe par des signes de confiance. Et puis, le client a envie lui aussi d'entrer dans le sujet : c'est lui qui, au final, s'appropriera le bâtiment, pour en faire quelque chose d'encore plus performant !
Ingénieur ESTP, responsable du système de management et des relations avec la profession au sein de Socotec Holding, Laurent Peinaud a été élu en juin 2016 à la présidence de l'Agence Qualité Construction. Il est également membre du Conseil de la construction et de l'efficacité énergétique, et président du Consortium for European Building Control.