Dans le passé, le bois, la paille et le chanvre ont été longtemps employés en construction en raison de leur disponibilité locale, de leur abondance et de leur faible coût. Après s'être maintenus face aux matériaux modernes dans des applications expérimentales 1 ou à forte orientation environnementale, ces matériaux d'origine naturelle 2, aujourd'hui appelés « biosourcés », suscitent un regain d'intérêt sous deux formes principales : comme élément structurel avec la technique de l'ossature bois, qui connaît un réel succès, et comme isolants. Ces derniers sont élaborés à partir d'une vingtaine de produits : fibre de bois ; liège expansé ; laine de chanvre, de lin ou de coton ; chènevotte ; paille de céréales, de roseaux ou de lavande ; tige de tournesol ; laine de mouton ; plumes ; textile recyclé ; ouate de cellulose (également issue du recyclage)... (voir encadré « Un guide pour l’information des professionnels ») Ils se présentent sous des formes très variées : vrac, granulats, panneaux, rouleaux, bottes. Pour leur part, le chanvre et la paille entrent aussi en composition avec d'autres produits pour la fabrication de mortiers ou de bétons utilisés comme isolants de toiture ou de sol, ou pour la réalisation d'enduits de murs aux propriétés isolantes et hygro-régulatrices.
Des matériaux comme les autres
Parmi les nombreux produits biosourcés proposés sur le marché, un nombre grandissant bénéficie de certifications (Acermi, NaturePlus, Bois PEFC...). Concernant la mise en œuvre, certains disposent d'Avis techniques ou de Documents techniques d'application (DTA), ce qui facilite leur assurabilité. Suite au travail d'associations comme le Réseau français de la construction en paille (RFCP) et Construire en chanvre, des Règles professionnelles existent depuis une quinzaine d'années pour les différentes utilisations du béton de chanvre, et depuis 2012 pour la construction en paille. Pour ces procédés, des formations à la mise en œuvre sont requises. Par ailleurs, un NF DTU est en cours de rédaction pour l'isolation des combles par soufflage de ouate de cellulose ou de laine minérale en vrac. Côté assurance, les règles sont les mêmes que pour les autres produits. Dès lors que les matériaux disposent d'Avis techniques, de DTA ou de règles de l'art (Règles professionnelles, NF DTU), leur mise en œuvre relève, pour la très grande majorité des sociétés d'assurance, de la catégorie des « techniques courantes », ouvrant droit à une couverture décennale des ouvrages sans extension de garantie ni supplément de prime. Si ce n'est pas le cas, les professionnels doivent solliciter leur assureur en amont du chantier.
Les isolants biosourcés rivalisent avec les laines minérales et les mousses alvéolaires de l'industrie, car ils offrent des performances comparables, soit un cœfficient de conductivité thermique (λ) compris entre 0,035 et 0,051 W/(m.K) (entre 0,030 et 0,042 W/(m.K) pour les isolants classiques). La plupart d'entre eux présentent en outre d'intéressantes propriétés en termes d'isolation acoustique, de régulation hygrothermique, de durabilité et de déphasage 3. Autres avantages : ils sont issus de ressources renouvelables (biomasse végétale ou animale, recyclage) ; ils bénéficient bien souvent d'un bon bilan carbone (tout particulièrement les matériaux d'origine végétale) ; leur fabrication et leur utilisation dans le cadre de circuits courts consomment peu d'énergie et sont faiblement émettrices de gaz à effet de serre (ils contribuent ainsi au développement de filières « vertes » locales, créatrices d'activité et d'emplois). Tous ces atouts n'ont évidemment pas échappé aux industriels, dont certains sont déjà positionnés sur cette activité.
Une réglementation incitatrice
Les matériaux biosourcés sont au cœur des enjeux de la construction durable, et leur utilisation est encouragée par les pouvoirs publics, en cohérence avec les engagements du Grenelle de l'environnement. En 2012, ce soutien a donné lieu à la création du label Bâtiment biosourcé (voir encadré « Label Bâtiment biosourcé : pour qui ? comment ? »). Depuis, la Loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (août 2015) a confirmé cette orientation en incitant les maîtres d'ouvrage à employer les matériaux biosourcés en construction neuve et en rénovation. Un cadre plus formel a été défini par l'arrêté du 12 octobre 2016, qui fait de l'utilisation de matériaux biosourcés — au taux correspondant au premier niveau du label Bâtiment biosourcé — un des critères requis pour justifier l'exemplarité environnementale d'un bâtiment, ouvrant la possibilité de bénéficier d'un « bonus » de constructibilité 4, sous réserve que ce dernier soit autorisé par le plan local d'urbanisme (PLU).
En dépit de ce contexte favorable et d'une progression observée entre 2012 et 2014, la part des isolants biosourcés reste inférieure à 10 % du marché. Derrière ce chiffre apparaît une réalité fortement contrastée. Le choix des isolants biosourcés semble ainsi plus fréquent chez les particuliers, en dépit d'un coût supérieur de 10 à 15 %, et, s'agissant des marchés publics, plus fréquents sur les projets expérimentaux ou pilotes. En 2013, quelque 7 000 bottes de paille ont été mises en œuvre pour l'isolation des façades en caissons de bois du groupe scolaire Louise Michel, dans le quartier du Fort à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). En juin 2015, dans le Nord-Pas-de-Calais, s'est achevée la première tranche du projet Rehafutur, qui portait sur la mise en œuvre expérimentale d'un éventail complet d'isolants biosourcés (voir Bâtimétiers n°41). Du côté des professionnels, les pratiques sont très diverses, les uns faisant le choix de la spécialisation, tandis que les autres restent sur la réserve, invoquant certains « déboires » et problèmes de sinistralité.
Les professionnels, entre conviction...
Établi à Lescar (Pyrénées-Atlantiques) depuis 2002, où il a longtemps mené une activité de traitement de bois complétée par des travaux d'isolation réalisés à l'aide de laines minérales, Laurent Lembezat, responsable de l'entreprise Arisolation, est un partisan convaincu des matériaux biosourcés. Depuis plusieurs années, la mise en œuvre de la ouate de cellulose et du coton recyclé, pour une clientèle constituée majoritairement de clients particuliers, est son activité dominante. Sa conversion, explique-t-il, tient à la conjonction de plusieurs facteurs : la crainte d'éventuels effets toxiques des matériaux traditionnels ; la sensibilisation aux matériaux biosourcés, qui était un volet du stage FEEBat qu'il a suivi en 2008 ; l'intérêt de ces produits en termes de durée de vie, de confort acoustique, de déphasage ; enfin et de façon décisive, le sérieux de l'accompagnement de ses fournisseurs en matière de formation et d'approvisionnement. En dépit du gros investissement que représentait l'achat d'une machine à souffler la ouate de cellulose, ces arguments l'ont convaincu de se lancer. Aujourd'hui, c'est lui qui argumente pour convaincre les clients d'assumer la différence de prix. « Ils y sont généralement bien disposés, observe-t-il. Sans doute par tout ce qu'ils lisent dans les journaux, voient et entendent à la télévision. » Thomas Vitte, qui dirige Vitte BTP, l'un des premiers acteurs du BTP en Seine-et-Marne (80 collaborateurs), n'a, du fait de son métier historique, qu'une expérience limitée des matériaux biosourcés, mais il ne doute pas un instant que leur montée en puissance dans la construction est inéluctable, au-delà du marché des particuliers sur lequel il se concentre aujourd'hui. « Il y a quelques années, raconte-t-il, dans le cadre du lot qui nous avait été attribué pour la restauration de la Maison du terroir, à Provins, nous avons dû réaliser un remplissage de colombages en béton de chanvre. Nous nous sommes formés avec l'aide de notre fournisseur et tout s'est bien passé. » Cette expérience a conduit l'entreprise à former spécialement une équipe à la technique des enduits chaux-chanvre en 2016. « Aller sur le marché des particuliers n'est pas un but en soi pour notre entreprise, souligne Thomas Vitte. Notre objectif est d'élargir notre offre à un savoir-faire qui fait partie du domaine courant. Nous sommes désormais positionnés sur ce métier et nous guettons ces lots dans les appels d'offres. »
... et réserves
« Je n'ai pas de conviction pour ou contre les matériaux biosourcés, mais j'avoue qu'ils ne me mettent pas en totale confiance », reconnaît Benoît Gagneux, qui dirige à Château-Gontier (Mayenne) la SAS Meignan Arsène (40 salariés), spécialisée dans la réalisation de cloisons sèches et de travaux d'isolation. Son entreprise travaille dans 90 % des cas avec des laines minérales. « Elles ont le gros avantage de m'offrir toutes les garanties ; avec elles, je sais exactement où je vais et je sais que je peux m'appuyer sur les fournisseurs, y compris dans des applications innovantes. » Sa prudence, Benoît Gagneux la justifie par la rareté des matériaux biosourcés qu'il observe dans les appels d'offres et par le frein de leur coût. « Sur le marché des particuliers, ce qui est recherché, c'est le crédit d'impôt. Seul un client sur dix est fixé sur le choix d'un produit. En ce qui me concerne, je propose un isolant classique, plus compétitif, et la plupart du temps je remporte le marché. L'image des matériaux biosourcés souffre aussi de certains déboires, dont nous avons tous entendu parler, poursuit-il : le traitement ignifugeant de la ouate de cellulose, la vulnérabilité de certains isolants aux attaques de parasites, des problèmes d'approvisionnement, de suivi de qualité de fabrication... Tout cela crée trop de décalage avec les isolants industriels, et c'est sans doute dommage. Mais dans nos métiers, il faut comprendre que c'est le professionnel qui est considéré comme sachant. Sa réticence à s'engager est légitime s'il estime qu'il prend un risque. »
1
Pour faire face aux besoins urgents et massifs de la reconstruction au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'ingénieur Émile Feuillette a expérimenté la technique de construction en paille et construit à Montargis, dans les années 20, une maison qui est aujourd'hui le siège du Centre national de la construction paille (CNCP).
2
Issus de la biomasse végétale et animale, la plupart des matériaux biosourcés doivent être transformés pour être employés. Ainsi, ils reçoivent bien souvent des additifs chimiques : colles, traitements ignifuge, antifongique, antiparasite... Ils ne peuvent donc pas être considérés comme des produits 100 % naturels.
3
Le déphasage thermique, exprimé en heure, est la capacité des matériaux composant l'enveloppe d'un bâtiment à ralentir les transferts de chaleur. C'est un critère déterminant du confort d'été. Les matériaux biosourcés ont généralement une meilleure inertie ; ils assurent donc un bon déphasage.
4
Pour un même projet, les maîtres d'ouvrage sont autorisés à dépasser les limites fixées par les règles d'urbanisme pour la hauteur ou la surface d'emprise de leur ouvrage, conformément au 3° de l'article L 151-28 du code de l'urbanisme.
Un guide pour l’information des professionnels
Tous les isolants biosourcés ne sont pas employés de façon égale. Les plus couramment mis en œuvre sont le bois, le chanvre, la ouate de cellulose, la paille, le liège, le textile recyclé et la laine de mouton. Pour faire le point sur ces matériaux qui ne sont pas toujours bien connus des professionnels, la FFB a publié en 2015 Les Matériaux biosourcés dans le bâtiment. En une vingtaine de pages, ce guide résume, pour chaque matériau, le process de production, les différents produits et domaines d'application, les points forts et les inconvénients. Des liens utiles sont proposés pour en savoir plus, ainsi qu'un tableau de comparaison des isolants biosourcés et des isolants industriels.
Mylène GAJIC, architecte dans l’Eure. Ateliers d’Avre et d’Iton
Pour l’architecte, l’exigence du progrès
Depuis 2008, Mylène Gajic exerce son métier d'architecte dans l'Eure, aux Ateliers d'Avre et d'Iton, et met en avant l'utilisation des matériaux biosourcés dans un volet de son activité qui se partage pour moitié entre éco-conception et rénovation pour des particuliers. Ce qui la motive le plus avec ces matériaux, c'est qu'ils obligent à se questionner et à progresser dans le métier. Quand elle les prescrit en rénovation, c'est « avant tout avec un souci de qualité, c'est-à-dire de confort, de performance, de durabilité et de cohérence avec le bâti existant ». Mais elle doit tout de même traiter le surcoût qu'ils représentent pour les faire accepter aux clients. La priorité accordée à un enduit intérieur en chaux-chanvre peut ainsi l'amener à choisir une laine minérale, plus économique, pour l'isolation de combles perdus. Elle use d'une large palette, dès lors que les produits disposent d'un Avis technique et permettent d'assurer les ouvrages sans contrainte particulière. N'ayant pas de préférence arrêtée, elle tient compte de celles des clients mais aussi des entreprises, car « ce qui compte vraiment, c'est la mise en œuvre ». Les professionnels ayant la maîtrise de ces matériaux ne sont pas toujours faciles à trouver. Mylène Gajic y parvient par le biais de réseaux professionnels, du bouche à oreille et de la FFB de son département. « Mais il faut parfois aller assez loin géographiquement. Je constate aussi que certains professionnels refusent de se lancer, en invoquant des difficultés d'approvisionnement. La vraie difficulté, c'est qu'ils travaillent souvent avec un ou deux distributeurs, toujours les mêmes, et qu'ils méconnaissent les réseaux spécialisés. »
Linchy CHAU, chef de projet à la Direction de la maîtrise d’ouvrage de Reims Habitat
Pour le maître d’ouvrage, le rôle moteur de la certification
Au début des années 2010, à l'initiative de la FFB Champagne-Ardenne, un collectif d'acteurs de la construction 1 de la région s'est constitué pour promouvoir et valoriser les bonnes pratiques en matière de construction. Ainsi a vu le jour le programme Villavenir, expérimenté sur cinq projets pilotes lancés par des bailleurs sociaux. L'un d'eux, Reims Habitat, a construit à Bazancourt, au nord-est de Reims, un ensemble de 15 logements pour seniors qui se distinguent par leurs performances en termes de consommation énergétique et par une forte utilisation de matériaux biosourcés : murs en ossature bois, isolation en laine de bois et laine de chanvre, toiture en caissons à ossature bois... « Cette conception, explique Linchy Chau, chef de projet à la Direction de la maîtrise d'ouvrage de Reims Habitat et référente de l'organisme pour les projets Habitat & Environnement (H&E) et NF Habitat, répond à une orientation générale de Reims Habitat, qui est engagé depuis mai 2008 dans une démarche de certification H&E des projets, et qui visait en outre le label BBC à Bazancourt. » Elle souligne également que « les matériaux biosourcés prennent une place plus importante dans les projets depuis le passage de la certification H&E à la certification NF Habitat, en juin 2016 ».
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Agence régionale de la construction et de l'aménagement durable, Conseil régional de l'Ordre des architectes, Fédération française du bâtiment, Union sociale pour l'habitat.
Label Bâtiment biosourcé : pour qui ? comment ?
Depuis le 1er janvier 2013, le label Bâtiment biosourcé 1 est à la disposition des maîtres d'ouvrage souhaitant valoriser l'utilisation de ces matériaux dans leurs projets. Obligatoirement associé à une certification, le label est délivré par Cerqual (certifications Qualitel, Habitat et Environnement...), Certivea (certif. NF HQETM, NF Haute Performance Énergétique) et Cequami (certif. NF Maison individuelle...). Il comporte trois niveaux, liés à l'utilisation d'au moins deux produits de construction biosourcés de fonctions différentes (niveau 1) ou de deux familles de produits de construction biosourcés différentes (niveaux 2 et 3). Le taux d'utilisation s'exprime en kilogramme par mètre carré de surface de plancher (kg/m2 SP) et varie selon la nature de l'ouvrage. Pour le niveau 3 du label, ce taux est par exemple de 36 kg/m2 SP en logement collectif et pour les bâtiments non résidentiels, publics ou privés neufs.
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Le contenu et les conditions d'attribution de ce label sont définis par le décret n° 2012-518 du 19 avril 2012 et l'arrêté du 19 décembre 2012.