Ingénieur civil des Ponts et Chaussées et architecte DPLG,Yves Laffoucrière a dirigé notamment la Semaest et l’Opacde Paris avant d’être nommé en 2005 directeur général de 3F– l’une des entreprises sociales pour l’habitat (ESH) réuniesau sein d’Action Logement (ex-1 % Logement), qui gèrela participation des employeurs à l’effort de construction.3F gère plus de 250 000 logements (dont 18 000 foyerset commerces) et a mis en chantier 8 500 lots en 2016.
Comment se porte l'activité de construction de logements sociaux en France ?
Nous entrons clairement dans une phase de relance de la production. À l'échelle de 3F, qui est l'un des principaux bailleurs sociaux en France, le chiffre le plus significatif est le nombre d'engagements fonciers signés en 2016 pour de nouveaux logements : il s'est élevé à 10 557, dont 6 884 en Île-de-France, soit une progression de 20 % sur un an. Toutes les conditions sont réunies pour que les années qui viennent soient des années de forte production. Le besoin de nouveaux logements est important dans la plupart des grandes métropoles, pour accompagner l'accroissement de la population. Sur le reste du territoire, les besoins concernent principalement l'offre de renouvellement, afin de remplacer par de nouvelles formes d'habitat les anciennes barres ou tours qui sont des passoires thermiques et acoustiques devenues obsolètes. L'activité de toutes les sociétés HLM va également être soutenue dans les dix ans qui viennent par le lancement du nouveau programme national de rénovation urbaine - l'Anru 2, dans la foulée de l'Anru 1 qui a eu des effets extrêmement positifs. La liste des 200 quartiers d'intérêt national visés par le nouveau programme vient d'être établie ; nous entrons aujourd'hui dans la phase des contrats de préfiguration, ce qui nous rapproche de la mise en œuvre opérationnelle.
Qu'en est-il en matière de rénovation du parc existant ?
Les bailleurs sociaux ont toujours eu une activité forte d'entretien et de modernisation de leur patrimoine, et là encore, nous entrons dans une phase d'accélération, principalement pour deux raisons. D'une part, la loi de transition énergétique de 2015 nous oblige à éradiquer d'ici 2025 tous les immeubles qui sont des passoires thermiques, en catégorie F et G. D'autre part, le soutien d'Action Logement - actionnaire de 3F - et de la Caisse des dépôts, sous la forme de prêts de haut de bilan bonifiés, va donner aux sociétés HLM les moyens financiers nécessaires pour accélérer leurs programmes de rénovation thermique. Ainsi, alors que 3F a consacré 1 milliard d'euros entre 2010 et 2016 à la réhabilitation de son patrimoine, ces investissements vont monter à 1,5 milliard d'euros d'ici les prochaines échéances. Le logement social est clairement un moteur de la rénovation immobilière et en particulier de la rénovation thermique. Nous avons le souci à long terme de la pérennité de notre patrimoine et le souci à court terme de réduire les charges qui pèsent sur nos locataires.
Comment abordez-vous les nouvelles technologies et l'innovation ?
Nous sommes moteurs dans l'introduction des nouvelles technologies, notamment dans le domaine des énergies renouvelables. Depuis une dizaine d'années, nous avons mené dans toute la France des opérations incluant du photovoltaïque, du solaire thermique, de la co-génération, des réseaux de chaleur vertueux... Nous sommes en train d'amplifier cette démarche chez 3F : dans nos cahiers des charges, en construction neuve comme en réhabilitation, nous demandons aux maîtres d'œuvre d'introduire systématiquement — sauf impossibilité — des énergies renouvelables dans toute opération. Cela dit, avec un recul de dix ans, nous constatons une proportion importante de dysfonctionnements de ce type d'équipements. Cela ne nous dissuade pas de continuer, mais nous renforce dans l'idée qu'il faut améliorer le professionnalisme de toute la chaîne des acteurs, à commencer par les maîtres d'ouvrage que nous sommes, jusqu'aux architectes et bureaux d'études, aux entreprises de travaux et aux mainteneurs. L'innovation technique est indispensable, pour la performance thermique notamment, mais elle exige une montée plus rapide en compétences.
Qu'attendez-vous en particulier du BIM ?
La transformation numérique va changer beaucoup de choses dans nos métiers : la façon de gérer la relation avec nos clients locataires et de dialoguer avec eux, la collaboration avec nos partenaires... On se dirige vers des bâtiments de plus en plus connectés, équipés de capteurs qui permettront d'assurer un suivi des équipements et des consommations, d'intervenir plus rapidement et en toute transparence dans une relation plus simple entre nous propriétaire, le mainteneur et le locataire qui bénéficie du service. Concernant la construction, nous attendons du BIM une meilleure coordination entre la maîtrise d'œuvre et tous les différents corps d'état. On sait combien les entrepreneurs peuvent perdre du temps et de l'argent sur les chantiers à cause d'une insuffisance de coordination, par exemple sur les réseaux. Et au-delà de l'acte de construction, en chaînant la maquette numérique à nos bases de données, nos gestionnaires auront accès aux plans et à tout l'historique d'un bâtiment depuis sa conception, ce qui fera du BIM un outil de gestion sur des décennies. Pour autant, comme en matière d'énergies renouvelables, il faut que toute la profession s'approprie la transformation numérique. Cela va prendre du temps. Nous veillerons pour notre part — en application du principe d'égalité d'accès à la commande publique — à ce que des entreprises ne soient pas pénalisées parce qu'elles ne seraient pas au top du BIM.
Participez-vous à la phase d'expérimentation de la future réglementation thermique ?
Nous sommes engagés dans six projets de bâtiments selon le label E+C-. Après avoir progressé sur la performance thermique, on nous demande maintenant de progresser sur les émissions de gaz à effet de serre. C'est tout à fait légitime. Mais le concept d'analyse du cycle de vie du bâtiment, qui implique de prendre en compte les émissions en phase de construction, d'exploitation et de recyclage, est compliqué à utiliser. Comment évaluer les émissions en fin de vie d'un bâtiment quand on sait qu'aujourd'hui nous démolissons certains immeubles construits il y a 30 ans et que nous en réhabilitons d'autres qui ont plus d'un siècle ? Là encore, il faudra un effort général pour s'adapter et se former à ces nouvelles notions. Je souhaite aussi que l'on prenne le temps de tirer toutes les leçons des expérimentations en cours pour régler le calendrier de mise en œuvre de la nouvelle réglementation.
Pour finir, qu'attendez-vous des entrepreneurs ?
Que nous ayons des relations de partenariat, comme avec tous les acteurs de la filière, et qu'ils comprennent bien que nous faisons du logement social. Nous sommes obligés d'avoir des loyers très peu chers et donc des coûts de construction maîtrisés. Il nous faut trouver l'équilibre entre cette maîtrise des coûts et un cahier des charges de qualité, car nous attendons des prestations durables, tout en permettant aux entreprises de gagner leur vie. L'une des réponses passe par une architecture simple, de qualité, peu onéreuse, compatible avec nos budgets, et par des prestations techniques raisonnables en évitant les suréquipements. Ingénieur civil des Ponts et Chaussées et architecte DPLG, Yves Laffoucrière a dirigé notamment la Semaest et l'Opac de Paris avant d'être nommé en 2005 directeur général de 3F - l'une des entreprises sociales pour l'habitat (ESH) réunies au sein d'Action Logement (ex-1 % Logement), qui gère la participation des employeurs à l'effort de construction. 3F gère plus de 250 000 logements (dont 18 000 foyers et commerces) et a mis en chantier 8 500 lots en 2016.