Maire (DVD) de Versailles et président de la communauté d’agglomération de Versailles Grand Parc depuis 2008, François de Mazières, ancien haut fonctionnaire, a été notamment directeur général de la Fondation du Patrimoine, conseiller pour la culture du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, et président durant huit ans de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Il a organisé à ce titre la consultation internationale des grands architectes autour de la question du Grand Paris. Très investi depuis une vingtaine d’années dans les questions de financement de la rénovation du patrimoine, il est à l’origine de l’idée de créer un tirage spécial du Loto pour les Journées du Patrimoine.
Quels enseignements tirez-vous du premier Loto du patrimoine, dont vous avez été l'inspirateur en France ?
C'est un incontestable succès, qui témoigne d'un intérêt bien réel pour le patrimoine, de la part d'un large public, et qui s'inscrit dans la même dynamique que les Journées du patrimoine. Ce succès doit beaucoup également à l'élan donné par Stéphane Bern. Le résultat escompté a donc été obtenu. Pour autant, ce type d'initiative ne peut apporter qu'un complément par rapport aux besoins financiers globaux que nécessite l'entretien du patrimoine. Or, les inquiétudes dans ce domaine sont réelles. Du côté de l'État, si le budget consacré au patrimoine est relativement constant - environ 400 millions d'euros par an -, le champ couvert s'est beaucoup élargi au fil des années, notamment au patrimoine du XXe siècle et au patrimoine végétal. Mais le plus préoccupant concerne les ressources des collectivités locales, qui ont vu leurs dotations budgétaires baisser de façon très importante. Les mécanismes de redistribution des richesses entre communes, imposés par l'État, aggravent encore la situation pour certaines d'entre elles.
Connaissez-vous de telles difficultés de financement dans votre ville de Versailles ?
Je vais prendre un exemple très concret. En dehors du château et du domaine de Versailles, qui ont leurs dispositifs de financement propres, nous avons ici un bâtiment majeur du point de vue historique, l'église Notre-Dame, construite par Jules Hardouin-Mansart pour Louis XIV. Elle nécessite de gros travaux de rénovation, dont le montant avoisine les 10 millions d'euros. Ce montant correspond au budget total d'investissement de la ville sur un an, y compris les écoles et les voiries. C'est donc une dépense insupportable pour la ville seule, et du côté de l'État, l'ensemble des crédits pour les édifices religieux du département des Yvelines s'élève à 1 million d'euros par an. Cet exemple montre que nous sommes en France dans une situation contradictoire : nous avons la chance d'avoir un patrimoine d'une grande qualité, qui suscite un intérêt croissant et qui est un élément fort d'attractivité pour nos villes et nos territoires, mais, alors que chacun s'accorde sur la nécessité de le préserver, les ressources pour le faire font défaut.
Y voyez-vous un risque pour la perpétuation des savoir-faire en matière de restauration ?
Oui, il y a un réel risque, il faut que les pouvoirs publics s'en saisissent. Les entreprises de restauration des monuments historiques sont fragiles. Elles maîtrisent des savoir-faire de haute tradition, dont la transmission s'effectue d'abord par l'apprentissage et la pratique. De leur activité dépend la stabilisation de leurs emplois et donc la perpétuation de leurs savoir-faire. Nous le voyons bien ici, à Versailles, où nous avons la chance d'avoir de nombreuses entreprises artisanales qui maintiennent ces traditions, avec une grande exigence de métier.
L'une des solutions pour préserver le patrimoine n'est-elle pas de le transformer en lui trouvant de nouveaux usages ?
Tout à fait, c'est l'une de mes convictions fortes. Nous menons de nombreuses opérations de ce type à Versailles. Par exemple la transformation de l'hôpital Richaud, ancien hôpital royal de Versailles, dont nous avons rénové totalement la chapelle, devenue un lieu culturel, tout en créant des logements dans les autres bâtiments. Il ne faut pas opposer patrimoine et architecture contemporaine mais au contraire les marier, pour créer de nouveaux environnements urbains. En dehors du patrimoine religieux, qui a une vocation spécifique, il y a de nombreuses possibilités de « greffes architecturales » qui préservent la valeur historique des villes tout en créant de nouveaux usages, de nouvelles circulations... Versailles est l'une des villes de France qui compte le plus d'opérations de transformation de ce type, sachant que le prix du foncier, lié à la forte attractivité de la ville, nous permet d'équilibrer financièrement de tels projets.
Plus généralement, comment voyez-vous évoluer la façon de concevoir le cadre de vie et l'habitat urbain ?
Dans mes précédentes fonctions de président de la Cité de l'architecture et du patrimoine, et depuis dix ans en tant que maire de Versailles, j'ai vu s'opérer un changement de paradigme, qui nous éloigne heureusement des erreurs du passé. Nous venons d'une époque, influencée en particulier par Le Corbusier, où dominait une vision moderniste de la ville « fonctionnelle » : l'espace urbain était totalement artificialisé et découpé en zones distinctes consacrées à l'habitat, au travail, aux loisirs. Aujourd'hui, on redécouvre la diversité urbaine, le rôle de la rue comme lieu de vie, la nécessaire prise en compte du contexte immédiat.
La question environnementale, qui passionne en particulier les jeunes architectes, suscite un vrai renouveau dans la façon de concevoir les bâtiments mais aussi de réintroduire la nature en ville. Cette architecture écologique, qui est la marque du XXIe siècle, est une forme de retour à ce qui s'est pratiqué pendant des siècles - notamment quand Haussmann a repensé l'urbanisme de Paris autour de ses parcs et jardins. Nous sommes en train de recréer un nouvel équilibre entre le construit et la nature, et c'est une excellente chose.
Quelle est la marge de manœuvre des élus, alors que des contraintes de plus en plus fortes pèsent sur les processus d'aménagement urbain ?
Dans ce faisceau de contraintes, nous disposons aujourd'hui d'un espace de liberté avec les appels à idées, qui permettent d'échapper au carcan des concours d'architecture traditionnels. C'est un cadre beaucoup plus souple et ouvert. La mairie établit un cahier des charges simple, définit la finalité de son projet d'aménagement et ses attentes au plan social, environnemental, culturel... Les groupements constitués pour répondre aux appels à idées peuvent réunir toutes sortes d'acteurs - architectes, urbanistes, promoteurs, associations, acteurs culturels... Ce cadre a redonné un souffle, une créativité indéniables, notamment parce qu'il permet de penser globalement un projet d'aménagement en intégrant tous les nouveaux enjeux urbains - densité, mixité, mobilité, développement durable... Nous l'avons utilisé plusieurs fois à Versailles. On mesure son potentiel d'innovation à grande échelle quand on voit les projets primés lors des appels à idées « Réinventer Paris » et « Inventons la métropole du Grand Paris ». Au fond, de la rénovation des monuments historiques à la requalification d'anciennes friches industrielles, des nouveaux espaces de nature aux pôles de transport multimodaux, la ville est en transformation permanente. Et nous sommes en train de redécouvrir la valeur du patrimoine urbain en le régénérant dans le respect de son identité pro