Qui a dit que les contraintes techniques liées à la haute performance énergétique d'un bâtiment bridaient la liberté créatrice de l'architecte?? Le nouveau siège de la Métropole Rouen Normandie ou « Hangar 108 », situé sur la rive gauche de la Seine, au coeur du futur écoquartier Flaubert, balaie cette idée reçue. Le maître d'ouvrage a mis la barre très haut : il souhaitait faire de ce bâtiment administratif de 8 000 m2 la figure de proue environnementale de l'écoquartier. « Nous avons choisi de le labelliser 'Passivhaus' et d'en faire dans le même temps un bâtiment à énergie positive (Bepos) », décrit Frédéric Boyère, responsable technique de la Métropole Rouen Normandie. Et pour que l'esthétique du projet en fasse un signal dans le paysage urbain, la Métropole a confié les clés de la conception architecturale au très créatif cabinet Jacques Ferrier Architecture. « Pour nous, le défi technique posé par les très hautes performances environnementales n'est pas une contrainte, expose Jacques Ferrier. Cela nous donne au contraire l'opportunité de créer de nouvelles images. »
RÉVÉLER LA BEAUTÉ DES PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES
Pour faire du siège de la Métropole un bâtiment produisant davantage d'énergie qu'il n'en consomme, le programme prévoyait l'installation de 2 000 m2 de panneaux photovoltaïques. L'architecte a profité de la nécessaire présence de ces nombreux panneaux pour doter le bâtiment d'une double enveloppe de verre intégrale. « Rouen étant la capitale de l'impressionnisme, nous avons aussi voulu rompre avec la couleur bleue habituelle des panneaux photovoltaïques pour élargir leur palette de couleurs. Tous les panneaux ont ainsi été revêtus d'une couche dichroïque, dont la couleur change subtilement suivant la distance et l'angle de vue de l'observateur. » Cette façade « impressionniste » rend ainsi hommage aux grands maîtres de ce courant artistique, qui « voyaient dans l'innovation technologique un moyen de fabriquer de la poésie et des émotions », assure Jacques Ferrier.
RELEVER LES DÉFIS ÉNERGÉTIQUES
La réalisation de cet ambitieux projet pictural doté de deux corps de bâtiments obliques a été confiée en 2015 par la Métropole à l'entreprise générale Sogea Nord-Ouest (filiale de Vinci Construction). L'entreprise avait fort à faire, car le label Passivhaus suppose d'atteindre de très hautes performances en termes de besoin de chaleur/refroidissement, d'étanchéité à l'air et de consommation totale d'énergie. Les besoins de chaleur/refroidissement devaient ainsi demeurer inférieurs à 15 kWh/(m².an). «Vue la complexité géométrique du bâtiment, c'était une véritable gageure de réduire tous les ponts thermiques et les fuites d'air parasites, décrit Laurent Pioton, chef de l'agence Sogea Nord-Ouest. Mais nous y sommes parvenus?!»
Pour garantir ces performances énergétiques, ainsi que la qualité architecturale, l'entreprise a fait le choix de construire le bâtiment avec les outils du BIM. « Le BIM nous a aidés à gérer la complexité du projet, en permettant d'identifier en amont les 'conflits' entre ouvrages, et surtout de simplifier les synthèses techniques et architecturales », poursuit Laurent Pioton.
Pour limiter les apports énergétiques extérieurs, plusieurs dispositifs complémentaires ont été mis en place. Une pompe à chaleur prélevant les calories dans le sous-sol à l'aide de 35 sondes géothermiques implantées à 100 m de profondeur a ainsi été installée. La ventilation double flux permet pour sa part de récupérer de la chaleur sur l'air extrait. Les panneaux de verre (façade nord) ou photovoltaïques (façade sud) constituant la double enveloppe forment quant à eux autant de brise-soleil positionnés de manière à laisser passer la lumière d'hiver et à stopper les chauds rayons d'été.
RENDRE AUTONOME L'EXPLOITATION DU BÂTIMENT
Mais le dispositif le plus innovant est sûrement le système de ventilation nocturne. « Durant les chaleurs estivales, toutes les fenêtres s'ouvrent automatiquement la nuit pour rafraîchir le bâtiment via un système motorisé asservi à la gestion technique du bâtiment (GTB)», détaille Laurent Pioton. Cette ventilation naturelle, qui permet de réduire les apports extérieurs pour le refroidissement, peut aussi être activée pendant les heures de travail. « Afin de procurer une plus grande liberté aux usagers du bâtiment, nous souhaitions qu'ils puissent ouvrir les fenêtres lorsqu'ils le désirent », décrit Jacques Ferrier. Cette liberté a une contrepartie technique : dès qu'une fenêtre s'ouvre, un capteur commande l'arrêt local et momentané du système de ventilation, afin d'économiser de l'énergie.
On le perçoit, la superposition des systèmes automatisés destinés à minimiser la consommation d'énergie rend complexe l'exploitation du bâtiment. C'est pourquoi le maître d'ouvrage a souhaité impliquer le plus tôt possible le titulaire du contrat d'exploitation, Engie Axima. « Les équipes d'exploitation étaient sur place dès la fin de la phase de travaux, pendant la livraison, et leur présence était quotidienne durant les six premiers mois de fonctionnement, précise Frédéric Boyère. Après une assez longue période de réglages et de mises au point, nous sommes désormais en vitesse de croisière. »
Les fortes chaleurs de l'été dernier, au cours duquel le thermomètre a atteint les 35 °C, ont permis de tester et de constater l'efficacité du système mis en place. « En fin de journée de canicule, nous atteignions une température maximale de 25-26 °C dans les bureaux. Celle-ci redescendait le matin à 22 °C grâce à la ventilation naturelle nocturne, le tout sans aucun apport extérieur », se félicite Frédéric Boyère. Finalement, le « 108 », comme l'appellent désormais familièrement ses utilisateurs, est totalement autonome en énergie pendant l'été, et produit globalement sur l'année autant d'énergie qu'il en consomme.