Le plâtre, il faut le sentir sous les doigts. C'est un peu comme la pâte du pain pour le boulanger. » Michel Berthellemy exprime là tout le doigté qu'exigent les gestes traditionnels du plâtrier. Un métier qu'il a exercé toute sa vie, en commençant comme apprenti dès l'âge de 12 ans, « à l'époque où l'on travaillait à la tâche, se souvient-il, si on ne travaillait pas, on n'avait rien, et si on faisait une erreur, on refaisait à nos frais le week-end ». Pendant les vingt premières années de son activité, les plaques de plâtre n'avaient pas encore déferlé en France, en provenance d'Amérique. Il n'y avait que le plâtre traditionnel. « C'est un métier où il y a des sensations, mais aussi de la technique, raconte-t-il. Selon la pression atmosphérique et la qualité de l'eau, le plâtre ne prend pas de la même façon. Il faut bien trois ans pour vraiment apprendre le métier. Je le sais bien : j'ai formé 18 apprentis pendant toutes ces années. » Lui-même a exercé son savoir-faire d'abord comme salarié, dans des entreprises aux quatre coins de la France, puis comme artisan, avant de transformer son entreprise individuelle en SARL, Plâtre Carrelage et Tradition, à la fin des années 1990. Implantée à Nieuil-l'Espoir (Vienne), à une vingtaine de kilomètres de Poitiers, elle a compté jusqu'à vingt salariés. « Quand on travaillait encore tout en traditionnel, on réalisait dix pavillons par mois : on montait les cloisons en briques de plâtre (tout au fil à plomb?!), on faisait les arrondis, les plafonds... On travaillait aussi sur des belles maisons traditionnelles du Poitou, avec des corniches, on refaisait des plafonds sur lattis en châtaignier dans des châteaux... »
Aujourd'hui, si le travail du « vrai plâtre » est devenu l'exception dans son activité, Michel Berthellemy cultive aussi souvent que possible les gestes du métier, en particulier sur des chantiers de rénovation de maisons anciennes dans le centre de Poitiers. En collaboration avec un architecte de Vivonne, spécialiste du « travail d'art », comme il dit, il restaure en ce moment la cheminée en marbre de l'une de ces maisons, en reconstituant la structure intérieure en brique et plâtre. Et c'est précisément pour transmettre ces gestes qu'il connaît sur le bout des doigts qu'il s'est envolé ces derniers mois pour Santa Fe de la Vera Cruz, au nord de l'Argentine. Le président de la Fédération du bâtiment de la Vienne, Jérôme Beaujaneau, lui a proposé alors, dans le cadre d'un partenariat organisé par le Grand Poitiers, de participer à la formation d'architectes argentins à la restauration d'excellence dans cette cité au patrimoine bâti d'inspiration française du XIXe siècle.
« Les Argentins ont la fibre patriotique pour leurs bâtiments historiques, ils veulent restaurer leur patrimoine, mais ils ne trouvent plus la main-d'oeuvre pour le faire, en particulier pour le plâtre traditionnel : aucun des stagiaires que j'ai formés n'avait jamais vu cette poudre blanche?! sourit-il. J'avais envoyé des photos avant de partir pour leur montrer le genre de matériel dont on aurait besoin, et on a improvisé sur place en fabriquant certains outils avec du zinc de couvreur, des pièces de bois et des pointes. » Pendant une semaine, le plâtrier poitevin a donc formé une quinzaine d'architectes, étudiants des Beaux-Arts, ingénieurs ou sculpteurs argentins, avec l'objectif d'entrer très vite dans le concret pour qu'ils s'approprient les gestes enseignés. « Le premier jour, j'ai réalisé devant eux une rosace, en faisant une armature à l'ancienne avec de la toile de jute. Dès le lendemain, je leur ai fait mettre les mains dans la pâte. Ils ont commencé à réaliser des petites pièces de plâtre avec les trois étapes habituelles : le plâtre très dur, pour la structure, puis le plâtre à dégrossir et enfin le plâtre à lisser. Au bout de quatre jours, ils étaient capables de faire une corniche?! » Michel Berthellemy les a initiés aussi à la fabrication de stuc pour un usage extérieur : des pièces dont les stagiaires ont testé la résistance au gel en les mettant une nuit au congélateur - test réussi. « Ils étaient surpris en découvrant qu'avec le plâtre on peut réaliser des ouvrages inaltérables. C'était un bonheur de les voir aussi motivés, concentrés et assidus, se rappelle-t-il avec émotion. Ils sont attachés au bien commun que sont leurs bâtiments anciens, et on sent leur envie de maîtriser les techniques qui pourront le faire revivre. »
La mission de Michel Berthellemy à Santa Fe devrait se poursuivre au cours des prochains mois avec une nouvelle session, consacrée cette fois à l'apprentissage sur chantier. En l'occurrence, la rénovation de la coupole de l'institut technique de l'université de Santa Fe. « Quand je vois le lattis apparent de la voûte qui s'est en partie écroulée, je trépigne d'impatience de la restaurer?! Je leur ai déjà expliqué la préparation des lattes, le taux d'hygrométrie, le plâtre mélangé au crin de cheval pour augmenter la dureté. Seul et bien équipé, c'est un travail de vingt jours environ. Le faire avec eux ira encore plus vite et ce sera un plaisir. » Le plaisir de transmettre et de partager, que Michel Berthellemy a toujours pratiqué dans son métier, mais aussi dans sa vie sportive (il fait du karaté depuis l'âge de 6 ans) et citoyenne (il aide une association qui mène des actions humanitaires à Madagascar).
Quant à la suite de son activité professionnelle, s'il est désormais seul dans son entreprise, comme lorsqu'il était artisan, il n'envisage pas un instant, à 61 ans, de prendre sa retraite. « Faire du plâtre, ça vous maintient en forme physiquement, et c'est un métier que l'on peut exercer seul. Bien sûr, comme pour tous les corps de métier, il y a des hauts et des bas, c'est toujours comme ça avec les chantiers, mais quand je refais du plâtre traditionnel, c'est comme des vacances?! Et puis, même si le métier a changé, l'esprit de solidarité existe encore. » L'aventure argentine de Michel Berthellemy en est la meilleure preuve.