Il était une fois… un château au riche passé, évoqué par Marcel Pagnol dans Le Château de ma mère, puis peu à peu laissé à l'abandon. Construite en 1792 dans l'actuel XIe arrondissement de Marseille, cette grande bastide d'inspiration italienne baptisée en 1907 « château Saint-Antoine » par son propriétaire d'alors, le comte Guy de Robien, a connu plusieurs transformations et propriétaires avant de tomber progressivement en ruine, à partir des années quatre-vingt-dix. Plus de vingt ans plus tard, en 2017, la Grande Loge de France (GLDF) décide de la racheter à la Soleam, la société publique d'aménagement de la métropole marseillaise, pour y abriter neuf temples et 70 loges marseillaises, à l'étroit dans leur hôtel d'alors, situé dans le quartier du Prado. Il ne s'agit rien de moins que de construire le plus grand hôtel maçonnique de France?! Si le nouveau propriétaire fait renaître le château Saint-Antoine de ses cendres, il souhaite également l'agrandir en l'ancrant dans la modernité. Pour l'architecte Jean-Pascal Clément, à qui est confié le projet, l'objectif est double : il s'agit à la fois de réhabiliter le bâtiment principal dans le style de l'époque, et d'y ajouter une extension neuve recelant un temple de 400 places, l'ensemble totalisant plus de 2 000 m2 de surface exploitable. Après plusieurs esquisses, l'architecte opère pour l'extension un choix radical : « Plutôt que de construire un pastiche s'inspirant du château, ce qui aurait alourdi l'esthétique de l'ensemble, nous avons conçu un ouvrage en opposition de style, résolument contemporain, en référence à la symbolique ésotérique maçonnique. » L'extension prend ainsi la forme d'une pyramide monolithique tronquée en béton noir, dont le large porte-à-faux de 10 m la fait comme « flotter » dans l'air. Cette structure fermée et en biais répond à celle, ouverte et droite, du bâtiment principal. « Ces deux architectures 'opposées' se marient pourtant bien, décrit Jean-Pascal Clément, la lecture indépendante de l'une et de l'autre ne bouleversant pas la lecture de l'ensemble. »
Savoir relever le défi
Ce mariage de l'ancien réhabilité et du neuf contemporain constituait une véritable gageure pour les entreprises de construction — pilotées par l'entreprise générale Cari — et en particulier pour le façadier, impliqué très tôt dans le projet. « On distingue habituellement deux écoles dans les métiers de la façade : celle de la tradition, représentée par les enduiseurs, et celle de la modernité, représentée par les bardeurs, explique Gérard Chiocchia, gérant de l'entreprise Générale de Façades, basée à Fréjus (Var). Ces deux écoles ont chacune leur culture et leurs adeptes, et elles ont plutôt tendance à se côtoyer qu'à se mélanger?! Le défi pour nos équipes était d'arriver à concilier ces deux approches au sein du même projet. Et de prouver que l'innovation n'est pas l'ennemie de la tradition. » Pour le façadier, le chantier démarre en novembre 2017 et se déroule en deux phases. La première est consacrée à la mise en place du bardage en double peau sur l'extension. « Notre bureau d'études a, dans un premier temps, dessiné la structure métallique du bardage selon un calepinage très précis correspondant à la forme pyramidale de l'enveloppe, précise Gérard Chiocchia. L'architecte souhaitait par ailleurs que les panneaux soient disposés en quinconce à 45° et en opposition afin de créer des effets de lumière à même d'animer la façade. » Or, les notices d'installation fournies par le fabricant n'autorisaient pas une telle configuration. « Grâce à un travail précis de justification, nous avons finalement obtenu l'accord de l'industriel pour utiliser ses panneaux selon notre cahier des charges. » Une fois cette conception inédite validée, restaient à poser les quelque 700 m2 de plaques de ciment teinté en noir dans la masse. L'entreprise a pour cela eu recours à la mécanisation. « Les dimensions et poids importants des panneaux (2,3 m de large et 4 m de long) ont conduit notre équipe, composée d'un chef d'équipe et de quatre compagnons, à utiliser une chèvre — un treuil motorisé — combinée à un palonnier muni de ventouses, habituellement employé par les vitriers, afin de respecter la précision centimétrique du calepinage. »
Une rénovation patrimoniale
Deux mois après l'achèvement de cette première phase, le façadier entamait la seconde, avec une équipe spécialisée constituée de six compagnons. « Nous avons basculé dans un autre monde, celui de la rénovation patrimoniale », se souvient Gérard Chiocchia. Bien que le bâtiment ne soit ni inscrit ni classé au titre des monuments historiques, le maître d'ouvrage souhaitait néanmoins en reconstituer à l'identique la façade à l'italienne, en se basant notamment sur des photographies d'époque. Balustres, corniches, blasons... la totalité des ornementations d'origine devait être retrouvée. Mais comment procéder, alors que le bâtiment était en ruine?? « Par chance, nous avons pu récupérer quelques éléments de décoration d'origine, quasiment intacts. Un spécialiste a pu en réaliser des moulages, que nous avons utilisés pour reconstituer la totalité des éléments décoratifs de la façade. »
« Sans vanité ni faiblesse »
Complémentaire de cette minutieuse reconstitution, l'enduisage a demandé quant à lui un fin travail de préparation. « L'état de dégradation avancée du support nous a conduits à en purger une grande partie, mais nous devions avancer avec délicatesse car certains éléments étaient en suffisamment bon état pour être conservés », précise Gérard Chiocchia. Une fois purgé, le support devait être réenduit : « Sur les trois couches d'enduit de base, nous avons appliqué deux couches de badigeon de chaux afin de donner tout à la fois de la patine et de l'éclat à la façade. » Inauguré en juin 2018 par le grand maître de la GLDF, Philippe Charuel, et le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, le château Saint-Antoine peut désormais accueillir de grandes manifestations, maçonniques ou non. Toutes sont placées sous la devise séculaire de la famille de Robien — « Sans vanité ni faiblesse » — inscrite sur le blason ornemental surplombant l'entrée du château et... restauré par l'entreprise Générale de Façades, évidemment?!