Les maîtres d’ouvrage, bureaux d’études techniques et entreprises seront-ils aptes à appliquer la RE 2020, qui associe un objectif de consommation d’énergie (E) et un objectif d’impact carbone (C) ? C’est pour le savoir que les pouvoirs publics ont lancé l’expérimentation volontaire E+C-, qui vise à établir concrètement la faisabilité de la future réglementation environnementale au travers d’opérations tests. Parmi elles, Le Onze1, un ensemble de 12 logements à Chartres réalisé par le promoteur Pierres & Territoire Eure-et- Loir (groupe Procivis), était en cours de livraison en juin dernier. Ce bâtiment en R+3, avec une maison de ville attenante, comprend en rez-de-chaussée 12 box privatifs, 13 caves et divers locaux communs et techniques. « Dans le cadre d’un projet démonstrateur qui a mobilisé plus de cent acteurs – maître d’ouvrage, maître d’œuvre, entreprises, industriels, laboratoires, organisations professionnelles, fournisseurs –, plusieurs objectifs étaient visés, explique Christian Herreria, dirigeant du cabinet Protéa Conseil et chef de projet du démonstrateur. Il s’agissait de concevoir et de construire un bâtiment satisfaisant à la future RE 2020, tout en respectant un coût de construction identique aux bâtiments conventionnels, avec des techniques constructives connues et à la portée de toutes les PME et TPE locales. » Enseignement majeur du démonstrateur Le Onze, tous ces objectifs ont été atteints.
Christian Herreria,
dirigeant du cabinet Protéa Conseil
« Le Onze est un compromis, pour lequel on a utilisé les bons matériaux et les bons systèmes énergétiques aux bons endroits, afin d’atteindre un classement E2C1 à coût constant. »
Un mode constructif mixte conforme au classement E2C1
Dès mars 2017, Pierres & Territoire Eure-et-Loir a demandé au bureau d’études techniques AET Loriot de concevoir le futur bâtiment en faisant différentes simulations pour établir les niveaux de performances possibles en énergie et en carbone, selon différents modes constructifs courants, tout en respectant une double exigence économique : un coût de construction équivalent, et une facture énergétique équivalente pour les futurs preneurs des logements. Sur le volet énergie (E), le projet a abouti à un mix énergétique (tout électrique avec apport thermodynamique pour les T2, gaz naturel pour les T3 et T4) qui permet d’atteindre la RT 2012 « Bâtiment à basse consommation énergétique » -10 %. Dans le cadre de l’expérimentation E+C-, le projet est conforme au niveau E2, sachant que l’expérimentation compte quatre niveaux E1 à E4 – l’étude des niveaux les plus performants ayant été abandonnée, car ils exigeaient des panneaux photovoltaïques difficiles à intégrer au bâtiment et exclus dans le périmètre de la cathédrale de Chartres. Sur le volet carbone (C), la solution adoptée est une construction mixte, qui retient le plus intéressant de chaque mode constructif : les fondations et la structure sont en béton coulé sur place ou préfabriqué, les façades en béton ou en bio-briques, et le troisième étage est préfabriqué en ossature bois, ce qui a permis d’obtenir un niveau C1 (l’expérimentation comporte deux niveaux, C1 et C2). « L’objectif n’était pas de faire un exploit en énergie et carbone impossible à reproduire économiquement pour des opérations lambda, mais au contraire de montrer que les projets courants peuvent respecter la future réglementation, ajoute Christian Herreria. “Le Onze” est un compromis, pour lequel on a utilisé les bons matériaux et les bons systèmes énergétiques aux bons endroits, afin d’atteindre un classement E2C1 à coût constant. » Une attention particulière a été apportée à la gestion des interfaces entre corps d’état techniques, pour parvenir à une enveloppe très performante en termes de perméabilité à l’air.
Impact carbone
et économie circulaire
Le démonstrateur Le Onze abordait en particulier la grande nouveauté de la future RE 2020, à savoir l’introduction du critère carbone (C), qui correspond à la quantité de gaz à effet de serre (CO2) émis pendant tout le cycle de vie du bâtiment sur une durée conventionnelle fixée à cinquante ans, depuis l’extraction des matériaux, leur transformation, les transports et la construction en phase chantier, jusqu’à la déconstruction et au recyclage en fin de vie. Premier constat, les critères énergie et carbone, les seuils et les moteurs de calcul de la RE 2020 ont évolué tout au long de l’expérimentation. Le Onze passe aujourd’hui les seuils E2C1, dans l’attente de confirmer s’il passera demain les seuils retenus pour la future RE 2020. Deuxième constat, la base Inies, qui réunit les fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) des produits et matériaux servant de base au calcul de l’impact carbone, a également varié, mais a néanmoins été contrôlée et enrichie, tandis que les moteurs de calcul ont été perfectionnés, ce qui donne à penser que ces outils seront bien opérationnels au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. Le projet a par ailleurs confirmé que l’impact carbone est majoritairement imputable aux matériaux et équipements utilisés ainsi qu’à la consommation du bâtiment, la phase chantier se révélant négligeable dans l’ensemble du cycle de vie.
Dernier volet de l’opération, le démonstrateur a permis d’évaluer s’il était possible de réduire l’impact carbone du projet en utilisant du granulat de béton recyclé (GBR). Dans ce but, le maître d’ouvrage a associé au projet la société Granudem, spécialisée dans le recyclage des déchets de béton issus des démolitions locales, et filiale de l’entreprise de démolition Poullard, implantée à Poisvilliers (Eure-et-Loir). Les matériaux béton recyclés, habituellement valorisés en sous-couches routières, ont été traités suivant un process particulier pour obtenir des GBR certifiés CE2+ auprès de l’Afnor. Cette certification a permis de les intégrer aux bétons du projet (BPE et produits industriels tels que murs à coffrages intégrés, escaliers, blocs béton) à un taux de substitution de 30 % des granulats, comme l’autorise la norme béton NF EN 206/CN en vigueur, avant d’être mis en œuvre par l’entreprise de gros œuvre locale. Cette démarche de type « écologie industrielle territoriale » (EIT) a été souhaitée par le maître d’ouvrage, qui en a formulé la demande dans ses pièces de marché. « Cette initiative se révèle riche d’enseignements, commente Christian Herreria. Ce granulat recyclé, qui implique un process industriel et du transport, n’améliore pas de façon significative l’impact carbone de la construction par rapport à du granulat neuf. En revanche, il montre comment le maître d’ouvrage et les entreprises du territoire peuvent agir en faveur de l’économie circulaire, pour économiser la ressource en matériaux naturels et favoriser l’activité locale. » Cette dimension d’économie circulaire, qui n’est pas pour l’instant une exigence réglementaire, pourrait le devenir dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire adoptée en début d’année, tout en étant, pour les maîtres d’ouvrage et les entreprises, un moyen de valoriser leur responsabilité sociétale auprès des décideurs territoriaux.