La RE2020, ou la révolution du coût global

La nouvelle réglementation environnementale, en instaurant le principe de l’analyse du cycle de vie, va transformer en profondeur l’approche du coût des bâtiments en y intégrant leur exploitation future. Si cette réforme est nécessaire face à l’urgence climatique, elle doit être raisonnée et raisonnable, en laissant le temps aux filières les plus impactées de s’adapter. Surtout dans une période de forte tension sur le marché de la construction neuve.
11:5501/03/2021
Rédigé par FFB Nationale
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Bâtimétiers Numéro 62 | Mars 2021

Le plan France Relance, avec son volet bâtiment, est-il de nature selon vous à développer l’activité du secteur dans le contexte de crise sanitaire et économique ?

Pascal Asselin — Disons-le clairement : 7,5 milliards d’euros annoncés pour la rénovation énergétique des bâtiments, c’est du jamais vu, sachant qu’au cours des années précédentes, on se battait pour obtenir quelques centaines de millions d’euros de plus sur ces sujets-là ! L’important, toutefois, est que cette annonce se concrétise. Si c’est bien le cas dans les mois qui viennent, ce sera une très bonne chose pour l’ensemble de la filière.

On peut s’inquiéter en revanche pour la construction neuve. Les autorisations de permis de construire et le lancement de nouveaux projets ont été ralentis à la fois par la crise sanitaire et le renouvellement des exécutifs des communes. Dans les grandes agglomérations, avec la forte poussée des écologistes, des projets en cours ont été stoppés. À ce contexte tendu s’ajoute la perspective de la nouvelle réglementation environnementale RE 2020. Tout cela freine la reprise du marché et complexifie l’acte de construire – j’espère de façon momentanée.

Quoi qu’il en soit, je reste optimiste, parce que la situation nous oblige à l’être : nous, chefs d’entreprise, sommes là pour apporter de l’espérance et être le fer de lance de la reprise !

Comment analysez-vous les impacts de la future RE 2020, en particulier sur les coûts de construction ?

P. A. — On évalue aujourd’hui le surcoût entre 3 et 15 %. Les modèles de calcul que nous avions mis au point, en collégialité avec tous les acteurs de la filière, ont été chamboulés par les derniers arbitrages du Gouvernement sur les seuils et les modes de calcul de l’empreinte carbone, associés à la future réglementation. Certaines organisations, dont la nôtre, en ont pris ombrage. Cela ne signifie pas que nous ne voulons pas de cette réforme : réduire la consommation énergétique et le poids carbone des bâtiments est nécessaire, c’est le sens de l’Histoire, c’est notre devoir envers les générations futures. Pour autant, cette réforme doit être raisonnée et raisonnable, car elle aura des impacts sur des années, et même des décennies. Il faut être attentifs aussi aux filières de construction qui pourraient avoir des difficultés à atteindre les nouveaux seuils, notamment celles qui ont des modèles économiques fragiles : il faut leur laisser le temps de s’adapter, en orientant notamment leur recherche & développement sur les nouveaux matériaux et équipements qu’elles vont devoir proposer au marché.

Finalement, si nous avons des réserves sur la méthode, nous allons accompagner cette réforme en faisant en sorte qu’elle se passe du mieux possible pour tous. Je compte sur l’intelligence collective pour nous permettre d’en sortir par le haut !

Avec la RE 2020, la prise en compte des consommations et des émissions de CO2 tout au long de la vie du bâtiment ne change-t-elle pas fondamentalement la façon d’aborder les coûts ?

P. A. — Effectivement, dès lors que la RE 2020 conduit à faire l’analyse du cycle de vie du bâtiment sur une durée de cinquante ans, ce qui peut aller jusqu’à la déconstruction, on raisonne nécessairement en coût global. Notre profession travaille sur ce sujet depuis des années : nous avons déjà des modèles et des outils de calcul du coût global des bâtiments construits, et nous proposons des formations sur ce thème aux autres acteurs de la construction. Pour autant, cette nouvelle échelle de temps est une sorte de révolution copernicienne pour toute la filière, en particulier pour les donneurs d’ordres, privés comme publics. Dans leurs calculs de retour sur investissement, au-delà de l’achat et de la vente, l’exploitation tout au long de la vie du bâtiment va devenir pour eux prépondérante, ce qui va sans doute orienter différemment leurs décisions et leurs façons d’aborder les projets.

Dans les projets auxquels vous participez, les technologies numériques sont-elles en développement ? Facilitent-elles réellement l’acte de construire ?

P. A. — Il faut distinguer maquette numérique et BIM. Si les logiciels de maquette numérique sont aujourd’hui très répandus, le travail en mode BIM, où chaque intervenant entre ses données dans un outil commun, se limite pour l’instant aux gros chantiers. Les outils du BIM sont encore complexes à utiliser, ils nécessitent une formation lourde et des investissements qui peuvent être disproportionnés si on n’en fait pas un usage régulier. À mon sens, nous aurons vraiment le bénéfice de tous ces outils digitaux quand ils proposeront des interfaces simplifiées, par métier, en permettant à chacun d’aller prendre dans la maquette numérique ce dont il a besoin, sans se perdre dans des détails qui ne le concernent pas.

Considérez-vous, comme beaucoup, que trop de règles et de normes encadrent le secteur de la construction ?

P. A. — Qu’il s’agisse de réglementations obligatoires ou de normes volontaires, n’oublions pas qu’elles sont toutes là pour protéger le citoyen et apporter de la sécurité. Mais certaines peuvent être superfétatoires. Quand on envisage, comme actuellement dans un projet de décret, d’interdire de laisser ouvertes les fenêtres d’un bâtiment tertiaire pendant les périodes de chauffe ou de refroidissement, sous peine d’amende, où va-t-on ? On légifère pour punir les gens ? Là encore, il faut raison garder.

Comment définissez-vous le rôle des économistes de la construction vis-à-vis des entrepreneurs ?

P. A. — Notre métier est à l’interface entre le donneur d’ordres, l’architecte et les entreprises. On nous voit parfois comme ceux qui mettent du rouge sur les factures, mais il nous arrive aussi de défendre une entreprise vis-à-vis d’un client qui considère qu’il détient la vérité alors que la réglementation – que nous sommes là pour rappeler – dit le contraire. Plus généralement, par notre métier au carrefour de la technique et des coûts, nous contribuons à sécuriser le déroulement des projets pour tous les acteurs, en particulier pour les entreprises. Pour chiffrer les projets, nous devons les comprendre et les analyser dans leur globalité, en décortiquant en amont toute l’organisation future du chantier. L’entreprise de travaux, en prenant connaissance du programme et du cahier des clauses techniques particulières sur lesquels nous avons travaillé, découvre avant même de voir les plans comment sont prévues les installations de chantier – la ou les grues, l’emplacement et la durée de location de la base vie, etc. Tout ce travail en amont permet d’éviter de mauvaises surprises pour nos partenaires de la construction, à commencer par les entrepreneurs !

© untec / Harald GOTTSCHALK

Pascal Asselin, dirigeant d’un cabinet d’économistes de la construction à Dourdan (Essonne), a exercé de nombreux mandats au sein de l’Untec avant d’en être élu président en 2015. Il a notamment organisé en 2018 le Congrès international des économistes de la construction sur les problématiques de coût global et de transition énergétique dans le bâtiment.

Il a mis également en place une offre de Mooc (formations en ligne) qui a fédéré plus de 10 000 inscrits.

Sa démarche est de favoriser le partage des expertises métiers au profit des acteurs de sa profession et de la filière bâtiment dans son ensemble.

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