Vous mettez beaucoup l’accent, au nom de la Fédération Cinov, sur la nécessité de « réussir les transitions ». Comment abordez-vous la première d’entre elles, la transition environnementale ?
Frédéric Lafage — Nous prônons dans ce domaine une approche qui ne se limite pas à l’énergie et au CO2, concernant en particulier la rénovation, qui est un enjeu encore plus important que celui de la construction neuve. Travailler à la rénovation énergétique des logements est indispensable mais pourquoi ne pas, en même temps, améliorer la qualité de l’air intérieur et le confort acoustique ? C’est le concept de « rénovation sensorielle globale », qui part des usages des bâtiments et propose une démarche positive pour leurs occupants. Nous proposons ainsi de traiter simultanément toutes les dimensions d’un habitat durable et résilient – en y associant également la protection de la biodiversité, qui est un enjeu étroitement lié à l’urgence climatique. Une telle démarche renforcerait la valeur ajoutée de nos métiers, pour les entreprises d’ingénierie comme pour celles qui réalisent les travaux.
Face à cet enjeu environnemental mais aussi aux évolutions sociétales, vous prônez la « sobriété désirable ». Quel sens lui donnez-vous ?
F. L. — Chacun comprend enfin que les ressources de notre monde ne sont pas infinies. La sobriété est donc une absolue nécessité, mais elle ne doit pas être synonyme d’austérité. Nous pouvons la rendre désirable en repensant nos modèles d’habitat en même temps que nous travaillons sur des constructions plus économes en énergie et en matériaux. Demandons-nous comment optimiser le taux d’usage des bâtiments plutôt que de les démultiplier, en concevant des espaces pluridisciplinaires comme l’étaient autrefois les salles polyvalentes. Réfléchissons aux façons de réaliser des bâtiments capables d’évoluer dans le temps, pour ne pas avoir
Là encore, raisonnons à partir des usages, de l’utilité de l’outil pour aller vers l’objectif que l’on s’est fixé, en gardant notre esprit critique. Dans un monde de plus en plus virtuel, où l’on commence à parler de « métavers », sachons rester vigilants face au côté « magique » de tous ces outils qui donnent l’impression de l’immédiateté de l’action, sans toujours se rendre compte de l’impact. Quand il y a une erreur sur une appli, c’est un simple bug, que l’on « corrige » ; une erreur sur un chantier, c’est un dommage, avec des conséquences beaucoup plus lourdes !
À toutes ces transitions s’ajoutent les difficultés liées aux approvisionnements et à la disponibilité des matériaux, aggravées par les tensions géopolitiques. Comment y faire face ?
F. L. — Depuis deux ans, avec la crise sanitaire et ses conséquences économiques, tous les acteurs de la filière ont su faire preuve de réactivité et d’adaptabilité. Aujourd’hui, avec l’accentuation des difficultés d’approvisionnement sur certains matériaux et l’augmentation des coûts – et alors même que nous sommes au pied du mur sur les sujets concernant l’avenir de la planète, qui nous paraissaient lointains il y a peu –, nous devons plus que jamais montrer notre créativité et jouer collectif. C’est-à-dire ne plus nous limiter aux schémas reproductibles que nous avions l’habitude de pratiquer mais être capables de réinventer nos métiers, que ce soit dans l’ingénierie en amont des projets, en renouant avec la notion initiale de l’ingénieur ingénieux, ou dans la réalisation, en cherchant d’autant plus à « faire ensemble » qu’il s’agit de « faire autrement ». Nous avons impérativement besoin les uns des autres, car personne n’a, à lui seul, la solution.
En conclusion, quel est votre message aux entrepreneurs du bâtiment ?
F. L. — Je voudrais leur dire : soyons fiers de ce que nous faisons ! Nous sommes avant tout des TPE, des PME, qui agissent au cœur des territoires, qui contribuent à leur vitalité en incarnant un certain modèle d’entreprise. Nous participons tous, à notre échelle et là où nous sommes, à améliorer la qualité de vie de nos concitoyens. Les uns et les autres, nous ne faisons pas juste de l’ingénierie, de la maçonnerie, de la plomberie ou de l’électricité : nous œuvrons collectivement à quelque chose qui a du sens. Et c’est en travaillant mieux ensemble, en apprenant à mieux nous connaître, que nous relèverons les défis d’un monde en profonde transformation.