Comment définissez-vous l’objectif du plan BIM, qui vient d’être reconduit pour la période 2022-2024, et quels en sont les acteurs ?
Yves Laffoucrière — L’objectif est de faciliter l’appropriation des outils numériques par la profession au sens large, des maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre jusqu’aux artisans et aux entreprises. La gouvernance qui est en place depuis la période 2018-2022 confirme cette ambition. Le plan BIM est piloté en effet par l’Association pour le développement du numérique dans la construction, ADN Construction, qui regroupe les organisations professionnelles de toute la filière, dont la FFB, et ce sont ces organisations qui portent elles-mêmes les actions du plan. Nous sommes donc dans une logique opérationnelle et de professionnalisation vis-à-vis de ces sujets de transformation profonde du numérique. C’est dans cet esprit que, cette année, nous avons fait entrer dans le dispositif l’Agence Qualité Construction (AQC) comme opérateur pour traiter notamment des sujets qualité, juridiques et assurantiels associés au BIM. Le comité de pilotage du plan BIM inclut évidemment nos partenaires publics de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), de sorte que les principaux acteurs impliqués dans la montée en puissance du BIM dans le bâtiment sont présents autour de la table.
Le plan BIM a créé un baromètre sur les usages du numérique et du BIM par les professionnels de la construction. Comment évoluent ces usages ?
Y. L. — Les deux premières éditions de ce baromètre, en 2020 et 2021, montrent que les pratiques numériques se développent d’une année sur l’autre. Parmi les acteurs de la filière, 24 % (+ 4 points en un an) utilisent régulièrement des outils CAO et BIM dans leur activité, 48 % (+ 11 pts) sont convaincus que le BIM est pour eux un enjeu stratégique. Si seulement 7 % (+ 1 pt) déclarent travailler effectivement en BIM, 26 % (+ 9 pts) de ceux qui le font l’utilisent sur des marchés courants, et 48 % (+ 4 pts) sur tous types de chantiers, courants ou complexes. Si les usages progressent globalement dans la filière, des disparités demeurent toutefois selon la taille des entreprises – 21 % de celles de plus de 50 salariés travaillent en BIM, contre moins de 10 % pour les moins de 50 salariés – et selon leur métier : le BIM est utilisé dans leurs projets par 20 % des maîtres d’ouvrage publics, 13 % des maîtres d’ouvrage privés et 30 % des maîtres d’œuvre. Ce baromètre, dont nous publierons une nouvelle édition chaque année, montre que nous devons accentuer nos efforts pour que le numérique gagne l’ensemble des acteurs de la chaîne, en particulier les artisans et les entreprises de travaux.
Quelles actions le plan prévoit-il pour développer ces usages ?
Y. L. — Le plan BIM 2022-2024 s’inscrit dans la continuité des actions déjà engagées et que nous allons approfondir, concernant en particulier les outils mis à la disposition des acteurs. Ainsi, le plan BIM a permis de réaliser la plate forme collaborative de services numériques Kroqi, créée par le CSTB. Son utilisation a connu une forte accélération avec le Covid. Après la phase de soutien public, le CSTB travaille aujourd’hui avec un partenaire privé pour faire entrer Kroqi dans le champ des outils de marché, avec toujours pour ambition de faciliter les projets de construction par la collaboration sécurisée et simplifiée entre les acteurs, quelle que soit leur taille.
Concernant la maîtrise d’ouvrage, dont le rôle d’impulsion est déterminant, nous avons mis en service fin 2021 l’outil Orelie(1), pour la rédaction en ligne d’un cahier des charges BIM, utilisé en particulier par les bailleurs sociaux, et nous avons développé, à partir d’un cas d’école de logements collectifs, le démonstrateur Olympi, consacré au DCE (document de consultation des entreprises) numérique et à ses apports concrets pour les entreprises. En application de l’axe majeur du plan qu’est la généralisation de la commande en BIM, nous mettons également l’accent sur les outils permettant aux maîtres d’ouvrage – qui sont au départ de tout – de se lancer de manière sécurisée dans des opérations en BIM, puis de transférer en phase d’exploitation les données issues de la maquette numérique. La RE 2020, en systématisant l’analyse du cycle de vie du bâtiment, rend d’autant plus nécessaires de tels outils.
Allez-vous développer également la formation et la sensibilisation aux outils numériques ?
Y. L. — Tout à fait. La formation est un chantier important du plan BIM 2022-2024. L’objectif principal est de réaliser une cartographie des compétences BIM associées aux différents métiers, de sorte que chacun des acteurs soit guidé vers la formation adéquate, en consultant notamment la plateforme pratiquerlebim.fr, qui sera alimentée régulièrement. Nous allons poursuivre également, avec l’appui de la FFB qui porte cette action, les rencontres du « BIM Tour », dont sept événements ont déjà été organisés en région. Ces échanges sont toujours très riches, et nous allons nous appuyer plus largement, pour les prochaines rencontres, sur les organisations et relais de nos métiers dans les territoires. Mettre en valeur les expériences menées, en construction neuve comme en rénovation, en faisant témoigner leurs acteurs et en s’adressant à tous les partenaires potentiels d’un projet BIM est un moyen très efficace de faire avancer la cause !
En quoi consistent par ailleurs les appels à projets lancés dans le cadre du plan BIM ?
Y. L. — Sur bien des aspects et usages du BIM, nous sommes encore en phase d’exploration, et plutôt que d’élaborer des recettes toutes faites et souvent mal adaptées, l’idée est de sélectionner, via un jury, et de soutenir financièrement des expérimentations qui aboutiront à des « preuves de concept », comme on dit dans les milieux de l’innovation, et contribueront à faire émerger de nouvelles pratiques. Lors de la phase précédente du plan, nous avons déjà lancé des appels à projets sur les thèmes du permis de construire BIM, des référentiels qualité au regard du numérique, et du « BIM chantier », dont les enseignements seront mis en ligne à la rentrée sur notre site (2). Les prochains appels à projets traiteront notamment de l’usage du BIM et de la maquette numérique pour l’établissement du dossier des ouvrages exécutés (DOE), ainsi qu’en phase d’exploitation-maintenance. À chaque fois, l’objectif est d’identifier les difficultés, les avancées et les points d’attention, pour mieux orienter ensuite les actions de formation, les investissements et les besoins en outils numériques, en progressant de façon systémique. J’incite vivement tous les acteurs de la filière à participer à ces appels à projets.
En conclusion, quel est votre message aux entrepreneurs pour les convaincre d’utiliser le BIM ?
Y. L. — Je voudrais leur dire que, pour l’artisan ou l’entreprise, le BIM est nécessairement gagnant à terme. Nous savons tous que l’on peut perdre du temps et de l’argent sur des chantiers par manque de coordination. En revanche, si l’ordonnancement est bien fait avec un outil numérique reconnu par tous, chacun sait précisément alors où intervenir, quel jour faire venir les compagnons sans temps mort, quelles quantités précises mettre en œuvre, avec à la clé d’indéniables gains en qualité et en productivité. Il faut veiller toutefois à simplifier l’accès à ces outils et leur utilisation par tous, en trouvant le juste niveau technique pour que les process ne submergent pas l’avantage qu’on peut en tirer. C’est tout le sens des actions du plan BIM.
(1) www.orelie-bim.fr
(2) Plan-bim-2022.fr