Pouvez-vous nous résumer la mission de l’OPPBTP ?
Jean-Marie Kerherno — L’OPPBTP a pour mission de promouvoir la prévention des accidents du travail et des maladies à caractère professionnel, d’abord et principalement auprès des entreprises, mais aussi auprès des organisations professionnelles, pour les aider à mettre en œuvre leurs propres actions, et des différents acteurs de la prévention tels que l’Assurance Maladie, les services de prévention et de santé au travail, ou encore les filières de formation professionnelle. Nous avons également un rôle d’expertise auprès de l’État pour l’élaboration et la mise en œuvre de la réglementation en matière de prévention.
Il faut souligner que, fidèle à l’esprit de Pierre Caloni, qui l’a créé en 1947 avec l’ambition d’« associer la responsabilité du patron à la peine de l’ouvrier », l’OPPBTP est un organisme paritaire, qui s’efforce même de pratiquer ce que j’appelle un « paritarisme intelligent ». Dans les conseils et les collèges de notre comité national comme de nos onze comités régionaux, les organisations patronales et syndicales sont présentes à parité. Chacun a son point de vue, sa sensibilité, mais nous agissons tous pour défendre les intérêts des entreprises et des salariés du BTP, et nous le faisons avec beaucoup d’écoute. Nous maintenons ainsi un consensus, basé sur un credo fort : la prévention est un levier de performance de l’entreprise, et nous partageons la volonté de poser les solutions pour progresser collectivement dans ce domaine.
Quelle forme prend l’accompagnement des entreprises par l’OPPBTP ?
J-M. K. — Nous exerçons des missions d’information, de conseil et de formation auprès des 240 000 entreprises adhérentes à l’OPPBTP. Nos conseillers peuvent, par exemple, rencontrer un chef d’entreprise et se rendre sur un chantier pour formuler un diagnostic et des conseils sur les solutions de prévention à mettre en œuvre. Avec l’évolution des matériels, qui ont beaucoup progressé ces dernières décennies, les conseils portent moins aujourd’hui sur des solutions techniques et davantage sur le management, l’organisation du travail et le développement des compétences. Nous avons beaucoup développé, ces dernières années, l’accompagnement par le digital, avec des outils qui permettent aux entreprises de gérer en ligne la thématique prévention, en particulier le « document unique d’évaluation des risques professionnels » – 45 000 DUERP ont ainsi été réalisés sur notre plateforme. Avec ces outils et toutes les solutions proposées en ligne, dans des formats très variés, le digital s’avère essentiel pour favoriser le développement d’une culture de la prévention, en complément de l’accompagnement de terrain.
Comment évolue la situation en France en matière d’accidents du travail dans le BTP ?
J-M. K. — Il y a lieu, à la fois, d’être satisfait et de ne pas l’être. Selon les statistiques de l’Assurance Maladie, qui sont l’instrument de mesure dans ce domaine, l’indice de fréquence des accidents du travail a baissé de 3 à 5 % ces dernières années dans le BTP. Mais nous restons confrontés à deux difficultés. Tout d’abord, nous avons du mal à faire baisser le taux d’accidents graves et mortels. Nous stagnons à un niveau supérieur à cent accidents mortels par an parmi les salariés permanents des entreprises, auxquels s’ajoutent une vingtaine de salariés intérimaires. La profession doit trouver les moyens pour améliorer la situation. La seconde difficulté a trait aux conditions de travail, dans un secteur d’activité qui reste très largement physique et expose donc les salariés à l’usure professionnelle, ce qui pose de surcroît la question de l’attractivité des métiers dans un monde où le standard du chantier devient de plus en plus éloigné du standard au travail que l’on rencontre en général dans les entreprises.
Dans ce contexte, quelles sont selon vous les pistes d’amélioration ?
J-M. K. — Nous devons accélérer sur le chemin déjà engagé par la profession : continuer à toujours mieux former les jeunes qui arrivent dans nos métiers, nouveaux compagnons comme encadrants, ce qui implique un effort accru des établissements de formation, où la prévention n’a pas toujours la place qu’elle devrait avoir dans le discours des enseignants ; continuer à porter le message auprès de toutes les entreprises, car on constate encore sur les chantiers un déficit d’attention aux questions de prévention et un non-respect de règles qui devraient être impératives – on voit encore trop souvent, par exemple, des compagnons marcher au bord du vide ou sur des toitures fragiles. Une autre piste est de responsabiliser davantage la maîtrise d’ouvrage, privée comme publique, pour laquelle la recherche du meilleur prix crée souvent des problèmes de qualité mais se traduit aussi par des manquements sur la prévention et donc par la mise en risque des salariés.
L’innovation n’est-elle pas aussi une réponse ?
J-M. K. — Oui, dans tous les domaines. On met souvent en avant les innovations techniques dans les équipements, la plus emblématique étant les exosquelettes, qui sont pour l’instant très marginaux car leur usage est insuffisamment versatile. Mais le principal gisement d’innovation réside dans le management et l’organisation des tâches. C’est l’intérêt notamment du Lean construction, qui incite à regarder différemment le déroulement du chantier et à revenir à des fondamentaux qu’on avait pu oublier : calculer par exemple les distances parcourues, pour se rendre compte qu’on marche souvent bien plus que nécessaire sur un chantier, avec ce que cela implique de fatigue et d’exposition supplémentaire aux risques ; simplifier les opérations de manutention et de logistique ; mieux travailler sur la rotation des tâches ; revenir à des équipes moins spécialisées, ce qui permet d’alterner les gestes et de contribuer ainsi à la prévention de l’usure professionnelle.
Mais il existe aussi un grand nombre de solutions très simples, appliquées aux différents métiers. Je pense par exemple aux dérouleurs automatiques de bandes de liaison pour plaques de plâtre, qui réduisent la fatigue pour les plaquistes ou, pour les soliers, aux outils et chariots utilisés pour la prédécoupe en atelier plutôt que sur le chantier. Nous avons mis ainsi en ligne plus de trois cents solutions sur le site de l’OPPBTP, en calculant à chaque fois le retour sur investissement pour les entreprises. Celles qui les ont mises en œuvre s’y retrouvent : ce qui a été engagé dans un premier temps pour la prévention génère également des gains de temps et de qualité, contribuant à la performance globale de l’entreprise.
Je voudrais insister enfin sur l’importance du dialogue et du collectif. Il y a beaucoup d’amélioration à retirer en associant davantage l’ensemble de l’équipe d’un chantier à la tâche à réaliser, en prenant le temps d’identifier avec les compagnons les principaux enjeux de production, de qualité et de prévention – ce sont des routines à prendre. Rassembler les expériences, les intelligences, c’est aussi un enjeu collectif à l’échelle globale de la profession. C’est pourquoi la forte implication, sur les questions de prévention, de la FFB, soutien fidèle et partenaire majeur de l’OPPBTP, est essentielle pour faire vivre cette mobilisation collective, à travers des événements comme la Semaine de la prévention, ou les centaines de réunion organisées chaque année par les fédérations départementales et régionales avec le soutien de l’OPPBTP. Les études métiers réalisées avec les unions et les syndicats de la FFB constituent également un instrument de taille pour l’amélioration des conditions de travail.