Faire du logement une grande cause nationale : entretien avec Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre

Explosion du nombre de personnes sans domicile, mal logées ou en situation de fragilité dans l’habitat, baisse de la production de logements, sociaux comme privés, accession à la propriété grippée… La crise touche tous les secteurs du logement. En sortir implique une politique gouvernementale offensive, à la hauteur de cet enjeu de société majeur. La filière a fait des propositions, la capacité d’agir est là.
9:0618/03/2024
Rédigé par FFB Nationale
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Bâtimétiers Numéro 74 | Mars 2024

Pouvez-vous nous résumer les missions de la Fondation Abbé Pierre ?

 

Christophe Robert — Notre cœur de mission est la lutte contre le mal-logement, que nous menons grâce à la générosité publique, car la quasi-totalité de nos ressources provient de dons et legs. Nous finançons environ 900 projets par an, portés par 450 associations.

 

C’est le cas en particulier de notre programme de logements très sociaux Toits d’abord, mis en œuvre par des associations agréées en maîtrise d’ouvrage d’insertion et réservé aux personnes en situation de grande précarité – le mécanisme des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) permettant d’avoir des niveaux de loyer très bas. Il peut s’agir de programmes neufs ou de logements du parc privé existants que l’on va conventionner en logements sociaux.

 

En parallèle, avec notre programme SOS Taudis, nous intervenons dans la rénovation de logements très dégradés, en complément des aides de l’Anah et des collectivités, ce qui concerne de nombreux propriétaires occupants, notamment en milieu rural. Nous finançons également des lieux qui accueillent les personnes sans domicile ou qui accompagnent des ménages dans leurs démarches juridiques liées au droit au logement.

 


Le nombre de logements sociaux financés chaque année est passé de 125 000 en 2017 à 90 000 en 2023, alors que le niveau de la demande atteint 2,4 millions de ménages, du jamais vu !

 

Christophe Robert, docteur en sociologie, est depuis 2015 délégué général de la Fondation Abbé Pierre et membre, à ce titre, d’institutions publiques, dont la Commission nationale solidarité et renouvellement urbain et le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Avec Véronique Bédague, P-DG de Nexity, il a coanimé le Conseil national de la refondation dédié au logement, qui a rendu ses conclusions en juin 2023

 

Vous publiez chaque année un rapport sur le mal-logement en France. Quelle est la situation actuelle dans ce domaine ?

 

C R — Deux chiffres la résument. Tout d’abord, il y a aujourd’hui en France 4,1 millions de personnes mal logées – qu’elles soient sans abri, en hébergement d’urgence ou dans des logements indignes, dangereux pour la santé, ou encore surpeuplés. Bien sûr, depuis l’appel de l’abbé Pierre, dont on fête les 70 ans cette année, nous avons assisté à des évolutions positives, notamment en matière de qualité des logements.

 

Pour autant, au cours des dix dernières années, le nombre de personnes sans domicile fixe a doublé. On ne peut pas continuer comme ça. Ensuite, 12 millions de personnes sont en situation de fragilité parce qu’elles vivent par exemple dans des copropriétés dégradées ou sont menacées d’expulsion en raison d’impayés de loyer. Avec la flambée des coûts du logement depuis les années 2000, ce ne sont plus seulement les personnes en situation d’exclusion ou à très faibles ressources qui rencontrent des difficultés pour se loger.

 

La situation s’est encore tendue dans la période récente avec la baisse de production dans tous les secteurs du logement, sous l’effet cumulé de la hausse des coûts de construction et de la remontée des taux d’intérêt. Celle-ci réduit le pouvoir d’achat des ménages mais aussi les marges de manœuvre des bailleurs sociaux, car la hausse du livret A, dont les fonds financent en partie leurs programmes, alourdit la charge de leur dette. Le secteur du logement social a vu aussi sa capacité d’agir réduite à cause de prélèvements décidés au niveau national et associés à la réduction de loyer de solidarité (RLS), corrélée à la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL).

 

Il ressort de tous ces facteurs que le nombre de logements sociaux financés chaque année est passé de 125 000 en 2017 à 90 000 en 2023, alors que le niveau de la demande atteint 2,4 millions de ménages, du jamais vu !

 

Vous avez coanimé le Conseil national de la refondation consacré au logement, auquel ont notamment participé les acteurs du bâtiment. Qu’en retenez-vous ?

 

C R — Il faut d’abord souligner que les quelque 200 acteurs de la filière réunis au sein du CNR ont mené un vrai travail de réflexion collective, en cherchant à dépasser les intérêts des uns et des autres pour élaborer des propositions communes. Une partie d’entre elles concernait le foncier, qui prend de plus en plus de poids dans le coût du logement. Il est impératif de mieux maîtriser cet enjeu, d’autant plus que l’on doit mettre en place le « zéro artificialisation nette » des sols, ce qui va par définition raréfier les terrains accessibles.

 

La réponse passe notamment par la densification de la ville et l’accompagnement des maires pour les aider à « reconstruire la ville sur la ville », en exploitant par exemple toutes les possibilités qu’offrent les plans locaux d’urbanisme pour développer la constructibilité des projets, notamment pour les bâtiments en hauteur. Il faut aider les maires bâtisseurs et les collectivités dans cette transition qui s’impose à eux comme à nous tous. Par ailleurs, le bail réel solidaire (BRS), qui distingue le foncier du bâti et permet de faire baisser le prix des logements, est un levier qu’il faudrait faire monter en puissance pour aider des ménages modestes à devenir propriétaires en zone tendue.

 

Plus généralement, favoriser l’accession sociale à la propriété, en particulier pour ceux qui voudraient sortir du logement social, est un enjeu essentiel pour recréer de la fluidité dans les parcours résidentiels. Concernant les aides au logement, plutôt que de fortement restreindre les modalités d’octroi du prêt à taux zéro et de supprimer le dispositif Pinel comme l’a décidé le Gouvernement, alors même que le marché du logement collectif neuf s’effondre, on pourrait imaginer de faire évoluer ces aides en associant des contreparties sociales et écologiques aux incitations fiscales.

 

Toutes ces pistes ont été explorées lors du CNR. Si, à la Fondation Abbé Pierre, nous sommes profondément déçus que le Gouvernement ne s’en soit pas saisi et ait choisi de faire du logement un des principaux contributeurs à la baisse des dépenses publiques, ces propositions sont sur la table et je suis convaincu qu’à un moment ou un autre elles seront utiles à la nation.

 

S’agissant de la rénovation énergétique, comment analysez-vous les enjeux et le dispositif des aides ?

 

C R — C’est un défi colossal, sachant qu’on dénombre 5,2 millions de « passoires thermiques » dans le pays et que le bâtiment est l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre. Le Gouvernement en a pris acte dans sa démarche de planification écologique, en favorisant la montée en puissance des rénovations performantes, les seules qui permettront de faire baisser dans la durée l’empreinte carbone des logements en même temps que les charges, sous réserve que les ménages aient les moyens de les réaliser.

 

MaPrimeRénov’, avec l’augmentation des aides pour les ménages les plus modestes, et Mon Accompagnateur Rénov’ sont des dispositifs qui vont dans le bon sens. Beaucoup d’acteurs du logement, dont la FFB, sont mobilisés sur ce sujet, mais d’énormes efforts restent à accomplir en matière d’information et d’accompagnement des ménages, et de formation des professionnels des secteurs concernés, partout sur le territoire. Quand on regarde les objectifs de décarbonation du logement pour 2030 et 2050, il est clair qu’il faudra mettre les bouchées doubles.

 

 

En résumé, comment sortir de la crise actuelle ?

 

C R — Nous en sortirons en abordant la question du logement non pas seulement dans sa dimension économique et technique, mais dans toute sa réalité humaine et sociale, avec ses multiples impacts sur la santé, la vie familiale, la mobilité professionnelle et l’emploi, l’équité territoriale…

 

Comme nous l’avons plaidé en 2023 devant la Première ministre et le président de la République, jouer sur tous les leviers à la fois – augmenter sensiblement le logement social et le logement d’insertion, développer l’accession à la propriété, soutenir la construction et la rénovation du parc privé… – est le seul moyen de redonner de la fluidité à un secteur en crise et d’améliorer la vie de nos concitoyens. Face à une situation explosive, il faut faire du mal-logement une grande cause nationale.

 

On aura besoin de tout le monde pour mener cette bataille difficile. Quand je vois tous les acteurs du logement mobilisés comme lors du CNR, je me dis : la capacité d’agir est là, il faut la mettre en mouvement !

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