Penser et construire autrement les bâtiments
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Cela dit, on ne va pas tout construire avec tel ou tel matériau, nous ne croyons pas aux solutions standardisées ou hégémoniques dans nos métiers. Nous sommes bien sûr capables de construire en bois mais nous n’allons pas pour autant abandonner le béton. La démarche de l’architecte se doit d’être ouverte et globale : je construis à cet endroit pour cet usage, en réponse au besoin du maître d’ouvrage et dans le cadre d’un budget.
Il s’agit de composer avec de multiples contraintes pour en faire des opportunités.
La démarche de l’architecte se doit d’être ouverte et globale. Il s’agit de composer avec de multiples contraintes pour en faire des opportunités.
Plus généralement, comment l’architecture s’adapte-t-elle à l’évolution de la ville ?
L.-A. G.-D. — Il y a aujourd’hui un regard de plus en plus acéré sur la localisation des bâtiments que l’on conçoit, sur leur usage actuel et futur. La ville d’aujourd’hui n’est plus conçue en zones séparées mais avec la volonté de mixer les usages, en intégrant la question des transports pour réduire les déplacements, et en « reconstruisant la ville sur la ville » pour limiter l’étalement urbain – la législation sur le « zéro artificialisation nette » est l’une des traductions de cette démarche.
L’usage et l’humain deviennent prépondérants. Dans cette approche, pour des raisons environnementales autant que sociétales, la question de la réversibilité des bâtiments monte en puissance. En pratique, on commence à se demander aujourd’hui comment définir les hauteurs sous plafond, le positionnement des gaines, les circulations verticales ou le traitement des façades afin de rendre beaucoup plus flexible l’évolution dans le temps des usages d’un bâtiment.
De même, le logement est conçu aujourd’hui pour s’adapter à la modification du noyau familial et au vieillissement, tous ces éléments qui font qu’on ne pense plus « figé ». Dans cet esprit, on voit se développer des expérimentations très intéressantes autour de la notion de volume habitable, où on livre au futur habitant un espace brut, pour qu’il puisse s’en emparer et l’investir lui-même en y projetant sa façon de vivre.
Comment la rénovation énergétique s’inscrit-elle dans cette démarche ?
L.-A. G.-D. — La rénovation énergétique est un enjeu majeur dans le contexte de transition écologique, mais elle devrait s’inscrire dans une réflexion globale, ce qui n’est pas suffisamment le cas aujourd’hui. Quand on investit dans la rénovation d’un bâtiment, il faut se demander comment l’améliorer au sens large, non seulement pour réduire la facture d’énergie, mais aussi pour augmenter sa valeur en termes d’usages, de patrimoine, d’insertion dans la ville…
Tous ces apports devraient être mis sur la table au moment où l’on engage une rénovation énergétique, car si on ne le fait pas à ce moment-là, on repart pour un cycle de nombreuses années en n’ayant répondu qu’à une partie de la question. Les architectes ont la capacité d’apporter cette vision globale, au-delà de l’approche liée à la réglementation et aux dispositifs d’accès aux aides financières qui prévaut aujourd’hui.
Comment abordez-vous l’intelligence artificielle dans l’exercice de vos métiers ?
L.-A. G.-D. — Nous l’abordons avec pragmatisme et réalisme, comme un outil qui peut être très utile pour améliorer nos méthodes de travail, notamment sur des tâches chronophages. Si je prends l’exemple du réemploi de carrelages, l’IA peut réaliser en quelques secondes un calepinage à partir d’un stock disponible – ce qui nécessite, sans elle, un travail de fourmi.
Plus généralement, les architectes l’utilisent de plus en plus pour optimiser des points de conception. L’IA aide aussi à faire des chiffrages rapides qui rendent nos choix techniques plus fluides, ou encore à analyser une maquette en repérant des points bloquants qu’on n’aura pas vus au premier abord.
L’IA n’apportera jamais la vision d’interaction humaine qu’on peut avoir en tant qu’architecte, en allant rechercher au-delà de la technique tout ce qui peut nourrir un projet et fait la richesse et le plaisir de notre métier. En somme, c’est une intelligence pratique que nous allons pouvoir utiliser pour nourrir la nôtre, sans qu’elle nous remplace. C’est vraiment un outil qui peut accompagner nos réflexions et la simplification de nos pratiques.
Quelle incidence toutes ces évolutions ont-elles sur la relation entre les architectes et les entreprises de bâtiment ?
L.-A. G.-D. — Répondre à tous les enjeux que je viens d’évoquer, en particulier celui de la transition écologique, implique un véritable travail collaboratif en continu, qui s’était peut-être un peu perdu à l’époque où architectes et entreprises avaient tendance à fonctionner dans des mondes cloisonnés – la conception par phase ayant favorisé ce cloisonnement.
Aujourd’hui, il est nécessaire de s’écouter afin de se comprendre, de s’enrichir mutuellement et de travailler réellement ensemble. Nous vivons une période où le geste de l’artisan, du professionnel, est devenu essentiel, car il connaît les matériaux, les procédés et les endroits où il va s’approvisionner.
Les architectes et les entreprises ont mutuellement besoin de leurs savoirs. Cette jonction entre nos deux mondes permet d’améliorer les process de chacun. Je le constate en particulier sur le sujet des matériaux, où nous travaillons ensemble beaucoup plus tôt dans le déroulement des projets et beaucoup mieux que par le passé.
Laure-Anne Geoffroy-Duprez a été élue en octobre 2023 présidente de l’Union des architectes (UNSFA), principale fédération syndicale de la profession. Elle en était précédemment vice-présidente, après avoir intégré l’UNSFA en 2017 en qualité de présidente de l’Union marnaise des architectes, qu’elle venait de fonder. Avec son associé, elle dirige l’agence Geoffroy Architectes à Reims.
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