Grande institution au service du petit patrimoine, la Fondation du patrimoine joue un rôle moteur dans sa sauvegarde, en drainant la collecte populaire de dons et en fédérant les énergies locales. Face à des besoins qui vont croissant, le secteur doit s’ouvrir plus largement aux artisans et entreprises du bâtiment, partenaires naturels implantés eux aussi au plus près des territoires.
Pouvez-vous nous résumer la mission de la Fondation du patrimoine ?
Guillaume Poitrinal : Organisme privé indépendant créé par la loi en 1996, la Fondation est née d’un constat : si l’on sait bien s’occuper, en France, du « grand » patrimoine, ce n’est pas le cas pour le patrimoine vernaculaire, celui des sous-préfectures, des villages, des terroirs, qui fait aussi la richesse de la France.
La plupart des bâtiments de ce « petit » patrimoine ne sont ni classés, ni inscrits au titre des Monuments historiques, et ne sont donc pas protégés. Un appui sous forme de mécénat était donc nécessaire pour le sauvegarder, et c’est la mission que nous avons reçue par délégation de l’État.
L’impulsion a été donnée au départ par de grandes entreprises mécènes, puis, très vite, la Fondation a fait appel à la collecte populaire et s’est déployée dans les territoires, là où se situent les bâtiments à sauvegarder. Nous sommes une grande fondation pour le petit patrimoine : 80 % de nos projets sont situés aujourd’hui dans des territoires ruraux ; nous sommes présents dans tous les départements et les régions de France, avec 90 salariés et un millier de bénévoles qui sont les premiers animateurs de la Fondation.
Comment les équipes et les bénévoles opèrent-ils sur le terrain ?
G. P. : Ils reçoivent des appels au secours ou repèrent les objets à sauver, qui peuvent être des petites églises, des théâtres, des musées, des maisons d’auteurs, ou encore des vieux barrages, des moulins...
Ils établissent alors les diagnostics, font réaliser les devis, et mettent tout en œuvre pour réunir les sommes nécessaires au sauvetage de ces objets du patrimoine, en relation étroite avec les porteurs de projets, qui peuvent être des municipalités, des associations, des particuliers...
Depuis sa création, la Fondation est intervenue ainsi sur près de 41 000 projets, un tous les quatre kilomètres en moyenne ! Dans notre ADN, il y a d’abord la mission de transmettre ce patrimoine auquel nous redonnons vie et qui fait la beauté, la fierté et l’attractivité touristique de notre pays.
Quelle est l’importance de la collecte populaire dans les financements réunis par la Fondation ?
G. P. : C’est notre outil numéro un. Sur notre site fondation-patrimoine.org, parmi les 2 300 projets qui sont recensés, chacun peut choisir celui qu’il va contribuer à sauver, en se repérant par la géographie ou par le type d’objet – l’église de son enfance, le lavoir près de chez soi... En parallèle, nos collectes sont animées localement par nos équipes et nos bénévoles, qui organisent des événements, des mécénats locaux, des partenariats avec des entreprises sous la forme de mécénat de compétences...
La collecte organisée en particulier par la Fondation pour la restauration de Notre-Dame de Paris a été essentielle...
G. P. : C’était notre vocation. Notre implication a été très tôt importante, et les donateurs se sont ralliés sur le nom et la réputation de la Fondation du patrimoine, avec la certitude que leur argent serait bien utilisé. Nous avons recueilli, en provenance du monde entier, 236 000 dons allant de 50 centimes à plusieurs millions d’euros, soit 70 % du nombre total de dons individuels. Nous sommes heureux et fiers d’avoir participé à ce grand moment de mobilisation collective, qui a fait prendre conscience de la fragilité du patrimoine. Aujourd’hui, nous travaillons à sauver toutes les autres petites Notre-Dame à travers la France.
Comment évoluent les besoins en matière de restauration du patrimoine de proximité ?
G. P. : Les besoins sont croissants, en raison de la paupérisation de nombreuses communes qui n’ont plus les moyens d’entretenir leur patrimoine. La situation est particulièrement critique pour les petites églises, d’autant plus que la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État a complexifié les décisions, qui relèvent à la fois du maire et des autorités religieuses. Cinq mille églises sont menacées de fermeture dans les dix ans, et cinq cents sont d’ores et déjà interdites au public.
Plus généralement, avec les contraintes qui pèsent sur les budgets publics, le recours au mécénat et aux initiatives locales associant de multiples partenaires sera de plus en plus nécessaire. Tout l’enjeu, pour nos équipes, est de fédérer les énergies, en se demandant à chaque fois comment redonner un usage et une utilité collective à un bâtiment qui a été fermé pendant quinze ou vingt ans – y compris pour une église, dont le sauvetage peut permettre d’accueillir des concerts ou des expositions en même temps que l’exercice du culte.
Comment envisagez-vous le rôle des artisans et entreprises du bâtiment pour répondre à ces enjeux ?
G. P. : Il faut souligner tout d’abord – et c’est la contrepartie positive de la forte régulation qui s’applique aux monuments historiques – que nous avons en France des entreprises très qualifiées en matière de préservation du patrimoine, avec des métiers qui ont su garder leurs traditions tout en se modernisant. Pour autant, le secteur ne peut pas être réservé à un nombre très limité d’acteurs. Il doit s’élargir à davantage d’entreprises car on aura besoin de l’énergie de tous.
J’entends parfois des couvreurs ou des maçons me dire : dès que c’est historique, je n’y touche pas. Quand on creuse un peu, il n’y a pas de raison. Nous avons en France des artisans et des entreprises qui savent très bien travailler et peuvent s’ouvrir plus largement aux savoir-faire du patrimoine, sur un marché qui sera de plus en plus important.
Pour notre secteur, l’enjeu est aussi économique, sachant qu’avec des moyens qui seront toujours inférieurs à nos ambitions, il faut faire un maximum et donc se poser la question de l’optimisation des coûts, de la gestion professionnelle des chantiers, dans l’intérêt du patrimoine comme des entreprises.
De même, quand certaines évaluations de travaux sont tellement pointues et importantes qu’elles rendent un projet irréalisable, il faut trouver le bon équilibre économique : sauver un bâtiment avec peut-être un peu moins de précision qu’on l’aurait souhaité initialement, c’est mieux que de le laisser disparaître.
Et puis, il y a une proximité évidente entre nos deux univers : pour les entreprises du bâtiment, soutenir le patrimoine est une façon naturelle d’exercer leur responsabilité sociétale. Leur mécénat, qui peut prendre des formes très diverses, est toujours le bienvenu pour nous aider à concrétiser nos projets !