Repenser la qualité à l'heure des transitions : entretien avec Philippe Rozier, directeur général de l'AQC

Gestion des risques climatiques, décarbonation, essor de l’intelligence artificielle… La qualité dans le bâtiment connaît de profondes mutations, que l’Agence Qualité Construction accompagne en développant des outils adaptés aux nouveaux enjeux de la filière.
10:3605/03/2025
Rédigé par FFB Nationale
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Bâtimétiers Numéro 78 | mars 2025

Pouvez-vous nous rappeler la mission de l’Agence Qualité Construction ?

 

Philippe Rozier — Fondée en 1982, l’Agence Qualité Construction fédère aujourd’hui plus de cinquante organisations professionnelles autour d’un objectif : prévenir les désordres dans le bâtiment et améliorer la qualité de la construction. Notre démarche se veut à la fois pragmatique et collaborative : examiner les désordres sans fard, tout en créant du consensus entre les différents acteurs de la filière pour y remédier.

 

Cela nous conduit à concevoir et diffuser des guides, fiches techniques et bonnes pratiques qui permettent aux professionnels de progresser et à la filière de venir à bout des coûts cachés induits par la non-qualité. C’est une démarche propre au bâtiment, que l’on ne retrouve pas, à ma connaissance, dans les autres filières industrielles.

 

Comment la notion de qualité dans la construction a-t-elle évolué au fil des ans ?

 

P. R. — La définition de la qualité a profondément changé au cours des quarante dernières années, dépassant les seuls critères de solidité et de sécurité incendie pour intégrer la durabilité, la sobriété énergétique et budgétaire, le respect de la biodiversité, la résilience climatique, mais aussi la qualité architecturale, urbanistique et d’usage.

 

Ces critères peuvent d’ailleurs s’avérer contradictoires, ce qui implique de faire des choix, car aujourd’hui, plus qu’hier, il n’y a pas de solution unique ; décarboner le béton ou construire en bois, par exemple, ne réglera pas tous nos problèmes. Nous devons revenir à des logiques de mixité. De fait, il faut sans doute continuer à utiliser du béton, lequel, malgré une empreinte carbone incompressible, présente de nombreuses qualités et permet une exploitation quasiment neutre en énergie.

 

De ce point de vue, l’analyse du cycle de vie devient centrale : un bâtiment carboné en phase de construction peut devenir vertueux à long terme s’il recourt aux énergies renouvelables dans sa phase d’exploitation, par exemple. Finalement, cela relève d’une forme de rétro-innovation, car la mixité a régné en maître jusqu’au milieu du xxe siècle – les bâtiments haussmanniens, par exemple, conjuguent pierre, bois et métal.

 

Aujourd’hui, il s’agit de retrouver cette mixité grâce à des matériaux contemporains, plus performants, nécessitant par ailleurs d’importants efforts de sécurisation et de formation des acteurs.

 

Justement, quels défis la décarbonation du bâtiment fait-elle naître en matière de qualité et de prévention des risques ?

 

P. R. — Depuis le début des années 2000, notre filière a largement pris le tournant de la décarbonation. Le recours accru à certains types de matériaux peut induire de nouveaux risques : en recourant à des systèmes constructifs composites, par exemple, on recrée des vides de construction qui sont autant de foyers d’incendie potentiels.

 

Dans le même temps, l’usage de matériaux biosourcés, plus sensibles à l’eau, génère un risque accru vis-à-vis des infiltrations. Il s’agit dès lors de gérer ces risques pour parvenir à un niveau de sécurisation comparable à celui atteint à la fin du xxe siècle. L’urgence climatique impose d’innover rapidement, au-delà du seul recours aux pratiques et produits normalisés. L’approche assurantielle prend alors tout son sens en substituant à la seule normalisation une approche d’appréciation et de gestion du risque.

 

Dans ce contexte, l’AQC, à travers sa Commission Prévention Produits qui réunit l’ensemble de la filière, joue un rôle essentiel dans la sécurisation de l’innovation en identifiant les risques de désordres liés à l’intégration d’un procédé innovant dans un ouvrage et en accompagnant les filières métiers dans l’élaboration de Règles Professionnelles adaptées.

 

Comment accompagnez-vous la filière face aux enjeux de résilience climatique et de rénovation énergétique ?

 

P. R. — Les désordres liés aux risques climatiques touchent principalement des bâtiments de plus de dix ans, hors sinistralité dommages-ouvrage mais dans le champ de l’assurance habitation, domaine sur lequel l’AQC souhaite développer de nouveaux observatoires.

 

C’est notamment un travail de compilation et d’investigation que mène déjà notre partenaire de la Mission Risques Naturels sur l’ensemble de ce champ assurantiel. Notre étude récente sur la grêle1 illustre bien notre démarche pragmatique de prévention : pour parer au risque d’infiltration d’eau consécutif aux dégâts causés par les grêlons, nous préconisons dès lors la systématisation des pare-pluie sous les tuiles et le stockage préventif de tuiles après une rénovation qui doit intégrer maintenant le réflexe résilience.

 

Notre action s’étend également à la rénovation énergétique. Les rénovations significatives se font souvent au moment d’une mutation, sans qu’il y ait toujours de maître d’œuvre. Pour accompagner les artisans et les entreprises dans ces situations, nous avons lancé la plateforme Pro’Réno2, qui compile plus de huit cents outils et bonnes pratiques.

 

Quels sont les axes prioritaires de développement de l’AQC pour les années à venir ?

 

P. R. — L’AQC s’est dotée début 2025 d’une nouvelle feuille de route quinquennale, toujours dans une logique de prévention et d’amélioration de la qualité.En collaboration avec plusieurs organismes membres et administrateurs, dont la FFB, nous œuvrons à sécuriser le réemploi, aujourd’hui en plein essor, en identifiant les risques pour établir des Règles Professionnelles adaptées, suivant l’exemple de la filière métallique.

 

Dans le même temps, nous travaillons sur le développement de l’intelligence artificielle (IA) comme outil d’aide à l’exploitation de nos données, en accueillant un doctorant qui développe un outil prédictif basé sur l’IA, capable d’exploiter les données de sinistralités passées afin de prédire les risques à venir sur de futurs bâtiments.

 

La résilience climatique fait partie des axes de travail validés par nos membres, notamment au travers du programme Safe RGA, piloté par le Cerema, qui expérimente des systèmes de régulation de l’humidité à proximité des bâtiments, pour lutter contre le risque de retrait-gonflement des argiles (RGA).

 

À la clé : éviter la reprise en sous-œuvre des fondations, coûteuses et fortement émettrices de CO2. Enfin, l’AQC poursuivra son action territoriale grâce à ses cinq délégations régionales dans l’Hexagone et outre-mer, dans la continuité des Assises de la construction durable, qui ont permis la publication d’un livre blanc3 et devraient être suivies de la mise en place d’un forum de la construction durable mobilisant les acteurs de douze territoires ultramarins français.

L’urgence climatique impose d’innover rapidement, au-delà du seul recours aux pratiques et produits normalisés.

© AQC

Philippe Rozier est ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts et architecte DPLG. Son parcours de trente ans, consacré à la construction et à l’aménagement, l’a amené notamment à conduire de grands projets en maîtrise d’ouvrage (APIJ, Jussieu, Paris Habitat…). Il a également supervisé la réalisation du programme des 70 ouvrages olympiques à la Solideo.

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