Intégrer les savoir-faire des métiers dans une maquette numérique en trois dimensions en vue d'une collaboration entre tous les corps d'état dès le dessin de l'ouvrage, c'est possible. Cofondateur il y a six ans et président de la société Arbodomia de Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée) qui construit des bâtiments en panneaux de bois massif CLT, Thierry Albert le vit tous les jours auprès des plaquistes, plombiers, électriciens ou menuisiers qu'il côtoie. Fort de son expérience passée dans les bureaux d'études de l'automobile, de la construction navale et de la plaisance, cet ingénieur spécialisé dans la conception assistée par ordinateur (CAO) y parvient en élargissant au monde de la construction les possibilités offertes par les logiciels BIM (design et gestion de projets) conçus initialement pour les besoins de l'industrie.
Le principe ? Dès les premiers coups de crayon d'un bâtiment, le bureau d'études d'Arbodomia crée avec un architecte la maquette numérique 3D de sa structure en bois et de l'ensemble des autres lots. Quand l'objet virtuel est finalisé et validé par le client, Arbodomia passe commande des panneaux en bois à son fournisseur, en lui livrant des fichiers numériques 3D intégrant toutes les informations nécessaires à un découpage précis. Une fois reçus ces éléments préfabriqués, il ne reste plus à l'entreprise qu'à assembler la charpente et les murs, et à passer le relais aux artisans chargés du second œuvre.
Mais auparavant, ces derniers auront enrichi la maquette d'Arbodomia en y introduisant leurs propres données : passages de câbles, gaines d'aération, validation de la constructibilité... Les artisans n'ayant pas de bureau d'études pour ce faire, c'est dans les faits celui d'Arbodomia qui numérise leurs données, troquant ainsi sa casquette de constructeur de maisons en bois pour celle d'ensemblier de la maquette numérique. Ce n'est peut-être pas la meilleure voie à terme pour les professionnels, qui doivent pouvoir s'approprier par eux-mêmes les nouveaux outils BIM, mais c'est en l'occurrence la configuration mise en place par le constructeur. Lors de réunions communes devant la maquette, l'électricien demande par exemple à Arbodomia de corriger son propre dessin des murs en bois massif afin de faciliter le passage des réseaux électriques ou de la VMC double flux; le plombier propose une variante permettant d'installer plus facilement le chauffe-eau ; le menuisier et l'électricien prennent conscience d'une difficulté à venir qu'ils pourront régler en partageant le même échafaudage... Peu à peu, la maquette est modifiée en fonction des demandes et des tours de main des uns et des autres. Et au final, chacun peut appréhender et planifier précisément le travail qui l'attendra sur le chantier. Ce travail préparatoire ne nécessite aucune compétence logicielle particulière pour l'artisan, et peut se dérouler dans ses locaux (ou plus tard sur le chantier) grâce à la présence d'un collaborateur d'Arbodomia muni d'un simple ordinateur portable avec connexion internet. Les données de la maquette numérique sont en effet stockées soit sur le serveur du constructeur, soit dans un espace de stockage externe. « Une maquette numérique, c'est un outil de chantier, insiste Thierry Albert. Confinée à une station de travail dans un bureau d'études, elle ne sert à rien. Pour profiter pleinement de son potentiel, il faut l'amener sur le terrain afin de l'enrichir du savoir-faire de tous : les compagnons, le responsable des achats, celui qui gère les approvisionnements... » Le résultat? « Nous obtenons une maquette numérique (quasi) parfaite, celle qui permet de construire avant de construire », résume Thierry Albert. Grâce à l'élimination à la source des mauvaises surprises potentielles, les délais et les coûts du chantier sont respectés, ce qui permet aux différents corps de métier de retrouver, voire d'améliorer leurs marges. Des gains positifs qui sont autant d'incitations pour les artisans et les entreprises à être eux-mêmes acteurs de la transition numérique, en s'engageant résolument dans le BIM.
