Si des milliers de poutres en béton préfabriqué sont levées chaque jour en usine ou sur les chantiers, les textes normatifs et les recommandations qui encadrent cette pratique — relatifs aux boucles de levage prises dans le béton, aux crochets d'élingage et à la mise en œuvre — manquent cependant de clarté et laissent apparaître des incohérences. À titre d'exemples, de nombreux guides et le fascicule 65 du CCTG dans sa version 2008 en vigueur imposent un rapport entre le rayon de courbure du crochet d'élingage et le diamètre du mandrin de cintrage des boucles de levage, très difficile à justifier, tandis que le FD CEN/TR 15728 dans sa version 2015 (Technical Report européen) limite l'angle d'élingage au sommet à 60°, pour prévenir le risque d'affaiblissement des boucles sans toutefois le caractériser comme dans sa version de 2008, là où d'autres textes normatifs acceptent un angle jusqu'à 90°. Les aciers doux utilisés pour les boucles de levage ont évolué dans les normes les caractérisant (NF A 35-015 de 1967 à 2009), notamment leur résistance garantie, sans changement de capacité dans les documents définissant les boucles de levage...
« Nous sommes face à un ensemble de textes qui s'empilent, mis à jour de façon décalée sans harmonisation, parfois incompatibles, ce qui amène les bureaux d'études et les entreprises à douter de la réglementation en vigueur et, pour certains, à cadrer leurs responsabilités avec des guides internes qui créent des particularités et donc de nouveaux risques pour l'industrialisation au niveau national, déclare Philippe Busi, directeur d'études chez Bouygues Bâtiment. C'est un sujet de maîtrise de la sécurité et pas vraiment un sujet d'optimisation, sauf si le surdimensionnement amène à son tour un risque induit (ce qui est le cas si les boucles sont trop grosses dans des éléments minces). Aussi, même si nous ne sommes pas dans un contexte accidentogène, l'ensemble de la profession a décidé de s'attaquer au problème. » Sous son impulsion, un groupe de travail constitué d'EGF.BTP, de l'UMGO-FFB, de l'OPPBTP, de la FIB, du Centre d'études et de recherche de l'industrie du béton (CERIB), avec la contribution de la FFB au travers de son Programme recherche et développement métiers (PRDM), a ainsi été mis en place dans le but de clarifier les conditions de levage par boucles des poutres en béton, et de dégager une approche commune.
La méthodologie suivie a consisté à analyser les différents textes en vigueur applicables aux boucles de levage (Fascicule 65, CEN TR 15728, Fiches OPPBTP, Recommandations INRS et CNAMTS), les normes caractérisant les crochets de levage (NF EN 1677-1 à 5), les normes relatives aux aciers doux utilisés pour les boucles de levage (NF A 35-015 version de 1966 et 2009, NF EN 10025-2 de 2005...), et à enquêter sur les pratiques en vigueur dans les bureaux d'études, les entreprises et chez les préfabricants. Cette analyse a mis en évidence la nécessité de réaliser une campagne d'essais d'importance. Ainsi, 105 essais ont été réalisés jusqu'à rupture des boucles, en prenant en compte cinq critères : le diamètre des boucles (12 et 16 mm) ; l'angle de levage (0, 30 et 45° et alternés, représentant un court cycle usine/stockage/transport/stockage/pose) ; la hauteur dépassant de la boucle de levage (15 cm, 40 cm y compris avec un blocage latéral représentant le bridage des cadres sur une boucle haute) ; le nombre de cycles de chargement (1, 5 et 10) ; enfin, les différentes formes du crochet de levage, en réalisant des variations sur la largeur du crochet et le diamètre de cintrage de la boucle. « Ces essais ont reproduit le plus fidèlement possible les pratiques en vigueur chez les préfabricants et sur les chantiers, commente Philippe Busi. Ils ont montré que seul un critère — la largeur du crochet par rapport au diamètre de mandrin de cintrage de la boucle — peut provoquer un affaiblissement de la capacité de levage de l'ordre de 15 %, et que les autres paramètres, dans les limites testées, n'ont pas d'impact sur la résistance de la boucle. Nous disposons désormais d'une justification des capacités de référence d'origine, dont la traçabilité avait été perdue dans les différentes mises à jour normatives. »
Autre conséquence importante repérée à l'avancement de la campagne d'essais : il n'est pas nécessaire de lancer une alerte nationale, puisque les pratiques actuelles identifiées ne révèlent pas de dangerosité. Les essais donneront lieu à un rapport d'études du CERIB, et leurs conclusions serviront à actualiser la fiche dédiée de l'OPPBTP (« Manutention des éléments préfabriqués avec des boucles de levage »). En particulier le chapitre consacré aux poutres en béton, qui mettra à la disposition des bureaux d'études et des entreprises des recommandations scientifiquement fondées et faisant consensus pour l'ensemble de la profession.
en savoir plus
- EGF.BTP (Entreprises générales de France-BTP, tél. : 01 40 69 52 78, www.egfbtp.com
- UMGO-FFB (Union de la maçonnerie et du gros œuvre), tél. : 01 40 69 51 59, www.umgo.ffbatiment.fr