Un programme de bureaux au cœur de Lyon, offrant 1 000 m2 de surface de travail répartis sur trois niveaux. » Sur le papier, le programme L'Orangerie, l'un des cinq bâtiments de l'îlot Ydéal de la ZAC 2 Lyon Confluence, sous la maîtrise d'ouvrage d'OGIC, paraît plutôt banal. C'est en s'approchant des majestueuses arches qui forment le motif récurrent de cet ouvrage que l'on en perçoit l'originalité : les arches ont non seulement la couleur de la terre, mais elles en ont aussi la texture.
De la terre crue, du pisé porteur plus exactement. Une technique couramment employée en Rhône-Alpes depuis des siècles, « notamment pour bâtir des maisons rurales, dont les plus anciennes encore debout ont plus de 400 ans, mais aussi des immeubles jusqu'à cinq étages comme à la Croix-Rousse », témoigne Nicolas Meunier, artisan en charge du gros oeuvre de L'Orangerie, l'un des rares Français à détenir encore un vrai savoir-faire dans le pisé. Ici, le projet dessiné par les cabinets Clément Vergély Architectes et Diener & Diener fait entrer de plain-pied ce matériau dans la modernité.
Des qualités structurelles
À la différence des anciennes maisons à l'architecture vernaculaire, où l'excellente résistance à la compression du pisé est mise à profit à travers des éléments porteurs simples, les formes structurelles sont en effet inédites. Le bâtiment, parallélépipédique, est composé d'une succession de quatorze arches paraboliques de grande hauteur (9 m) et de grande ouverture (4,7 m au rez-de-chaussée), soutenant des planchers bois formant diaphragme. Simplement posées sur une fondation en béton, les arches sont, en partie basse, constituées d'un empilement de pierres de Hauteville de 1,6 m, que prolonge jusqu'au sommet de l'immeuble une succession de blocs de pisé.
Pour imaginer cette audacieuse conception, le cabinet d'architectes a notamment pu s'appuyer sur le savoir-faire du bureau d'études Batiserf, spécialiste des « moutons à cinq pattes ». « Les ingénieurs structures ont poussé le matériau pisé dans ses retranchements techniques », confirme Nicolas Meunier. Qu'à cela ne tienne : le pisé en a vu d'autres, et Nicolas Meunier aussi, lui qui, il y a plus de trente ans, mettait au point une méthode de préfabrication originale, « pour réduire la pénibilité du travail ».
Utilisée sur le chantier de L'Orangerie, cette préfabrication foraine suit les étapes suivantes : la terre stockée à proximité est d'abord acheminée jusqu'à un malaxeur où est ajustée la teneur en eau. Une fois le mélange réalisé, la gâchée se déverse directement dans un coffrage métallique à la géométrie préréglée. Là, un ensemble de masses métalliques tombant de tout leur poids viennent alors compacter la terre - à la place de l'opérateur - de manière répétée. Une fois le bloc de terre compacté, il est immédiatement démoulé, puis pris en charge par un palonnier qui le lève et le pose - au millimètre près - sur le bloc de pisé précédemment posé, un simple joint de terre assurant la liaison entre les deux blocs. En cinq mois, d'avril à août 2019, 286 blocs de pisé, de dimensions variables (70 à 112 cm de haut, 1 m à 2,27 m de long, 50 à 80 cm de large), auront ainsi été préfabriqués et posés par les cinq membres de l'équipe de gros oeuvre.
La terre crue ? Suivez les guides...
Un premier pas vers la reconnaissance de la terre crue en construction, notamment par les assurances ? Rédigée sous la houlette de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) par un collectif d'experts (dont l'UMGO-FFB), une série de cinq guides de bonnes pratiques a été publiée en mai 2019. Pisé, torchis, bauge, terre allégée et enduit en terre... les principales techniques de terre crue sont abordées en détail, pour la construction neuve et en restauration. Les guides sont tous disponibles sur umgo.ffbatiment.fr.
Des qualités environnementales
Évidemment, les qualités du pisé ne sont pas uniquement structurelles. Elles sont aussi écologiques. Côté ressources, la terre argilo-graveleuse est prélevée localement - en l'occur-rence sur un chantier de terrassement, situé à 30 km du chantier, dont les déblais devaient initialement être mis en décharge. Sa recyclabilité est infinie : en fin de vie, la terre peut retourner directement à la terre ! Sans déchet, sans emballage, le bilan carbone du pisé, qui en outre ne nécessite pas de cuisson, est donc très faible. Côté performances, le pisé dispose d'une grande capacité de régulation hygro-thermique, absorbant à la fois les pics d'humidité et de chaleur, au bénéfice du confort intérieur. L'Orangerie est ainsi dépourvue de système de climatisation et ne nécessite qu'un chauffage de faible puissance.
Circuit court, recyclabilité totale, pas de transformation, tenue dans le temps des constructions, confort intérieur... « le pisé coche toutes les cases d'une économie circulaire et durable », conclut Nicolas Meunier, qui précise que la réussite de ce projet inédit tient également aux relations de confiance qui ont pu s'instaurer avec le maître d'ouvrage et le maître d'oeuvre.
« Le pisé est un matériau structurel, pas un bardage écologique !
Si Nicolas Meunier se félicite du regain actuel de popularité de la construction en pisé, il déplore que ce matériau, aux qualités pourtant structurelles, ne soit utilisé régulièrement qu'en habillage de façade, afin de donner une touche « verte » à un programme. Cette frilosité s'exprime aussi lorsqu'il est employé en structure, où il est souvent associé à du béton armé afin de rassurer certains bureaux d'études et de contrôle, peu enclins à valider l'utilisation d'un matériau quasi absent de la culture technique du XXe siècle. « Ce type de structure mixte pisé-béton s'avère problématique sur le long terme, estime Nicolas Meunier. En hiver, le pisé a plutôt tendance en effet à gonfler du fait de la hausse d'humidité, alors que le béton armé, lui, se rétracte sous l'effet des basses températures. Ces mouvements inversés peuvent créer des pathologies à l'interface des deux matériaux. »