Depuis des années, la FFB alerte sur les conséquences pour les constructeurs des recours abusifs contre les permis de construire.
Cela a donné lieu à une première série de mesures en 2013 pour lutter contre ce fléau 1.
Cependant, cinq ans après, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes du secteur. Le nombre d'opérations bloquées, du fait de ces recours, est encore très important.
La cause principale est le délai de jugement, bien souvent déconnecté des réalités économiques d'un chantier :
- 1 an et 11 mois en moyenne pour les tribunaux administratifs?;
- 1 an et 6 mois pour les cours administratives d'appel?;
- 10 mois pour le Conseil d'État.
La FFB a élaboré de nouvelles propositions et a convaincu le gouvernement de la nécessité d'accélérer le traitement des recours.
Cela vient d'aboutir.
Publication d'une nouvelle série de mesures 2
Limitation à 10 mois du délai de jugement des recours
Les juges devront rendre leur décision dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d'aménager un lotissement.
Cette mesure est plus emblématique que contraignante, car le non-respect de ce délai n'a pas de conséquence. Toutefois, les juges administratifs ont démontré jusqu'à présent qu'ils étaient capables de respecter ce type de délai imposé.
Elle s'appliquera aux recours enregistrés à compter du 1er octobre 2018.
Prolongation jusqu'au31 décembre 2022 dela suppression de l'appel
Depuis 2013, en zone tendue, il n'est plus possible de faire appel lorsqu'un tribunal administratif juge un permis légal. Seul un pourvoi auprès du Conseil d'État reste envisageable.
Cette mesure s'applique dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants soumises à la taxe sur les logements vacants.
Elle vise les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement.
Elle devait prendre fin le 1er décembre prochain, mais vient d'être prolongée jusqu'au 31 décembre 2022.
Cristallisation automatique des moyens
Depuis 2013, le juge peut fixer une date butoir, à compter de laquelle les parties ne peuvent plus déposer de nouveaux arguments juridiques. Cela permet d'éviter que le requérant ne dépose ses arguments au compte-gouttes et souvent juste avant l'audience, pour ralentir la procédure. Les juges ont peu utilisé cet outil, pourtant efficace.
Le gouvernement a donc décidé de le rendre automatique.
Désormais, les parties ne pourront plus invoquer de nouveaux arguments, passé un délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense.
À noter
En matière de permis, la défense est assurée par le titulaire du permis et par l'autorité administrative qui l'a délivré. Le premier qui remettrases arguments de défense fera partir le délai de deux mois précité.
Cette mesure s'appliquera aux recours enregistrés à compter du 1er octobre 2018.
Obligation de confirmation du recours, en cas de rejet d'un référé-suspension
Un permis faisant l'objet d'un recours en annulation n'est pas pour autant suspendu.
Il est donc possible de commencer les travaux malgré un recours (même si ce n'est pas conseillé).
Toutefois, le requérant peut demander la suspension du permis au « juge de l'urgence » (le juge des référés), en engageant un référé-suspension.
Ce juge ne va pas décider si le permis est légal ou non, il va uniquement regarder s'il y a un doute sérieux sur la légalité du permis et s'il y a urgence à le suspendre.
Désormais, si le juge des référés rejette la demande de suspension, le requérant devra confirmer le maintien de son recours en annulation, dans un délai d'un mois. S'il ne le fait pas, on considérera qu'il s'est désisté et son recours sera rejeté.
Cette mesure sera applicable aux recours en annulation enregistrés à compter du 1er octobre.
Possibilité d'obtenir une attestation de non-recours
Certains tribunaux acceptaient déjà de délivrer des attestations de non-recours, mais cette pratique n'était pas encadrée par la loi.
À compter du 1er octobre, toute personne pourra se faire délivrer, par le greffe du tribunal, un document qui soit atteste l'absence de recours en annulation, soit indique la date d'enregistrement des éventuels recours.
Les attestations de non-recours sont notamment utiles pour obtenir le déblocage des ventes par les notaires et des fonds par les banques.
Obligation pour le requérant de fournir des pièces justifiant son intérêt à agir
Pour engager un recours contre un permis, il faut un intérêt à agir et des arguments pour démontrer l'illégalité du permis.
Depuis 2013, l'intérêt à agir est encadré, pour éviter que n'importe qui puisse faire un recours contre un permis.
Pour les associations : elles doivent avoir déposé leurs statuts en préfecture avant l'affichage en mairie de la demande de permis.
Désormais, une association devra joindre à son recours ses statuts et le récépissé attestant sa déclaration en préfecture.
Pour les autres requérants : il faut que la construction ou l'aménagement risque d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur bien.
Désormais, un requérant devra joindre à son recours un acte prouvant l'occupation ou la détention régulière de son bien (titre de propriété, promesse de vente, bail, contrat préliminaire de VEFA...).
Le non-respect de ces nouvelles exigences rendra le recours irrecevable.
Cette mesure s'appliquera aux recours engagés contre les autorisations délivrées après le 1er octobre.
Mention sur les autorisations d'urbanisme de la date d'affichage de la demande
Dans les quinze jours qui suivent le dépôt d'une demande de permis, la mairie doit afficher un avis de dépôt de demande.
La connaissance de la date d'affichage de cet avis est importante. C'est en effet à cette date que s'apprécie l'intérêt à agir des particuliers et des associations.
À compter du 1er octobre, les arrêtés de permis et les certificats de permis tacites devront indiquer cette date d'affichage.
Réduction à six mois du délai de recours après achèvement, à défaut d'affichage du permis
En principe, un permis ne peut faire l'objet d'un recours en annulation que dans un délai de deux mois à compter de l'affichage du permis sur le terrain.
Tant que cet affichage n'est pas fait, ou si l'affichage est irrégulier, le délai de recours des tiers ne se purge pas et un recours peut être engagé à tout moment. Il existe toutefois une date butoir : aucun recours en annulation du permis ne peut être engagé passé un délai d'un an à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement.
La date retenue pour l'achèvement est la date de réception par la mairie de la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux (DACT).
Pour les autorisations délivrées après le 1er octobre,ce délai sera réduit à six mois.
D'autres mesures sont d'ores et déjà prévues, dans le projet de loi ELAN, pour compléter l'arsenal de lutte contre les recours abusifs.
Ce projet de loi est en débat au Parlement et devrait être adopté définitivement à l'automne.
Condamnation exemplaire d'un professionnel du recours abusif
Entre 2015 et 2017, un particulier avait engagé plus de 70 recours contre des permis de construire de grands projets, tous situés à Paris. Il vient d'être lourdement condamné.
Ces recours étaient engagés soit en son nom propre, lorsqu'il était voisin de l'opération, soit au nom de l'association Paris urbanisme responsable et écologique (Apure), dont il était le président et qui était domiciliée chez lui.
La technique était rodée, il multipliait les recours contre des permis de construire, avant de demander aux promoteurs de fortes sommes d'argent pour les retirer.
Même s'ils sont infondés, les recours ont de graves conséquences pour les promoteurs, car cela gèle des opérations aux enjeux financiers importants, en moyenne pendant deux ans. Les banques refusent en effet de financer les projets faisant l'objet de recours.
C'est ainsi que onze protocoles d'accord, pour un montant global de 1,6 million d'euros, ont été signés en faveur de ce particulier, pour négocier le retrait de ses recours.
Le 19 juillet 2017, une foncière prise pour cible a refusé de céder au chantage et a porté plainte.
Le 4 juillet 2018, le tribunal correctionnel de Paris a porté un coup d'arrêt à cette activité lucrative en retenant les infractions suivantes : faux et usage de faux, escroquerie, tentative d'escroquerie et blanchiment d'escroquerie.
L'association Apure a été jugée fictive et ce professionnel du racket a été condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, obligation de réparer les dommages en fonction de ses facultés contributives, restitution des sommes perçues et interdiction d'exercer pendant cinq ans dans les domaines de l'urbanisme et de l'environnement.
L'intéressé a fait appel de ce jugement.
La FFB applaudit cette condamnation exemplaire et note qu'un procès pénal se révèle plus dissuasif que les sanctions prononcées par les tribunaux administratifs.
Depuis 2013, les juges administratifs ont un arsenal juridique pour sanctionner directement les auteurs de recours abusifs, mais ils retiennent rarement qu'un recours est abusif et, quand ils le font, la sanction financière est très faible.
Le projet de loi ELAN, actuellement examiné au Parlement, prévoit des mesures pour faciliter l'indemnisation des victimes de recours abusifs directement par les tribunaux administratifs. La FFB espère que ces derniers mettront enfin en œuvre ces outils.
1
Ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013.
2
Décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018.