Qu’est-ce que l’intelligence stratégique 1 ?
L’intelligence stratégique est ce qu'on pourrait appeler l'intelligence du devenir, c’est-à-dire l'intelligence de ce qui est en train de se faire, du futur qui se dessine et de ses acteurs.
C’est la capacité du stratège à identifier les marges de manœuvre possibles, à choisir le moment exact où il faut agir.
C'est en quelque sorte l'intelligence du stratège militaire qui veut sortir gagnant de la bataille.
Qu'est-ce qu’un stratège gagnant ?
C'est quelqu'un qui sait ce qu'il fera si, par hasard, il perd, parce qu’il aura élaboré des plans B.
Cette capacité d'imagination utilisée pour développer des scénarios alternatifs est aussi importante que le recours à la mémoire. La mémoire des expériences passées, celle des situations vécues ou observées, des informations recueillies, dont les enseignements ont permis de dégager des invariantes ou des lignes de force en cours de préparation, d’identifier les points pertinents pour le futur.
Avant, c’était trop tôt. Après, ce sera trop tard…
Un stratège gagnant, c'est quelqu’un qui a l'esprit de décision, qui sait saisir ce que les Grecs anciens appelaient le kairos, c’està- dire l'instant rare où ses désirs et le cours du monde coïncident. Avant, c'était trop tôt. Après, ce sera trop tard.
C‘est le moment où tout peut basculer, où l’objectif et le subjectif se rencontrent.
L’art de saisir le kairos
L’art de saisir l’occasion n’est pas une science exacte. Cela réclame de la finesse, du flair, de l’intuition… toutes qualités qui rendent remarquables les fins stratèges. Saisir le kairos, ce n’est pas agir à la va-vite, sans discernement. Ce n’est pas s’en remettre à la chance. C’est agir sur la base de ses connaissances, après avoir reconnu une opportunité.
La logique se nourrit ici d’une part d’irrationalité, d’intuition, de sensibilité qui permet de passer à l’action.
Une intelligence des paris
L'intelligence stratégique est parfaitement adaptée à notre époque, parce que c’est avant tout une intelligence des paris : paris sur les gens et sur les lieux, sur des mouvements technologiques, relationnels, de société, etc. Ses ennemis sont la certitude de l’expert, le dogmatisme, l’esprit système en général.
Le stratège, malgré l’imprédictibilité des événements et du facteur humain, prend une décision quelle qu’elle soit, puis met tout en œuvre pour qu’elle soit la bonne.
Il suffit parfois d’un rien, d’un détail pour faire la différence et établir une stratégie innovante et gagnante, où audace et courage sont au premier plan.
La pensée stratégique
Il s’agit d’une pensée synthétique et structurelle adoptant la perception, la prévoyance et l’intuition pour évoquer et anticiper l’image lointaine et façonner l’avenir avant qu’il ne survienne.
Elle opte pour la créativité et l’innovation dans la recherche de nouvelles idées et d’applications novatrices des connaissances antérieures pour prévoir l’avenir et en déterminer les tendances et les transformations virtuelles, au lieu d’être totalement prise par le présent et de s’engluer dans ses problèmes qui sont en fait un prolongement du passé. Elle opte donc pour l’enquête, l’observation, la réflexion, la déduction, la pensée anticipative et proactive et le raisonnement.
Sept conseils pour stratège en herbe
S’interroger sur le devenir de l’organisation, de ses métiers, marchés, technologies… est l’une des missions essentielles du dirigeant.
Il ne s’agit pas tant de « voir avant les autres » que de construire un futur souhaité.
1. Pris dans le feu de l’action et dans les diktats des urgences du quotidien, vous avez peu de temps pour lever la tête et observer autour de vous. Or, pour développer une pensée stratégique, il faut regarder loin. Très loin. Il faut repérer les besoins émergents.
Soyez à l’affût d’idées et de pratiques qui changent la donne.
2. Nous sommes nombreux à vouloir des résultats immédiats et significatifs après chaque action. Nous nous concentrons sur des résultats quantifiables dans le futur proche qui, très souvent, ne nous permettent pas de voir plus loin.
Or, pour développer une vision stratégique, il est nécessaire de faire une pause.
Afin de percevoir ce que les autres ne voient pas encore, il faut affûter vos cinq sens et vous placer en mode captation.
Soyez alerte, curieux et ouvert.
3. Ayez une connaissance précise des signaux envoyés par l’écosystème de l’entreprise, le marché, la société, etc.
Les bons stratèges reconnaissent l’importance d’écouter plus que de parler.
Questionnez et écoutez attentivement les réponses.
Questionnez vos collègues, vos employés, vos partenaires, vos fournisseurs, vos clients, votre entourage et votre réseau.
Pour que l’exercice soit utile, il est essentiel d’être capable de passer de l’information brute à l’analyse, puis à la synthèse.
Posez-vous aussi les questions suivantes : Pourquoi pas ? Pourquoi pas maintenant ? Est-ce la meilleure façon d’aller de l’avant ? Qu’est-ce qui me plaît (ou non) dans le statu quo ? Y a-t-il d’autres éléments qui pourraient influencer le cours des choses ?
4. Remettez en cause vos croyances les plus tenaces.
5. Soignez votre vision : aucun stratège ne peut réussir s’il n’a pas une connaissance parfaite du terrain.
Veillez à avoir une bonne compréhension de la situation de l’entreprise et tâchez au maximum de saisir ce qui l’attend, de manière prévisible, à court, à moyen et à long terme. En cela, votre fédération, par son travail de veille, peut vous aider.
Identifiez toutes les possibilités – même les plus farfelues – qui s’offrent à vous. Ne vous limitez pas à qui est possible aujourd’hui. Propulsez-vous dans le futur.
Demandez-vous à quoi ressembleront vos produits, vos services ou votre organisation dans 10, 25 ou 30 ans, si les tendances observées s’avéraient.
Complétez les phrases : « Et si… », « ce serait incroyable si… » ou « le monde serait différent si… »
Ce qui compte, c’est développer un sixième sens pour les informations qui se recoupent ou celles qui enflamment votre imaginaire.
Mettez-vous dans les souliers de penseurs et de leaders contemporains novateurs.
Voyez le monde de leur point de vue. Demandez-vous comment Steve Jobs, Elon Musk, Jeff Bezos, Naomi Klein, Richard Branson ou Béa Johnson envisageraient vos enjeux. Choisissez des leaders qui vous inspirent et qui possèdent des perspectives différentes.
6. Enfin, ayez toujours en tête que la stratégie d’entreprise n’est pas, et ne sera jamais, une science exacte.
Acceptez que les erreurs fassent partie du jeu. Mais ne les faites pas deux fois !
7. À la vitesse où le monde change, déployez constamment vos antennes pour détecter les signes avant-coureurs d’un futur prochain.
Le futur est à imaginer plus qu’à découvrir !
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Philippe Gabilliet, professeur de leadership, ESCP Europe, lors d’une conférence du Cercle du leadership.