Construire la ville de demain : vers des logements et quartiers comme services ?

Isabelle Baraud-Serfaty, économiste et urbaniste, directrice d’Ibicity et professeur affiliée à l’École urbaine de Sciences Po Paris, s’intéresse à la façon de construire la ville de demain. Elle constate que logements et quartiers s’utilisent et se conçoivent de façon nouvelle. Ils se consomment davantage comme des services. Usages et investissements se transforment autour des bouquets de services qui font éclater les démarcations traditionnelles de la fabrique urbaine et font apparaître de nouveaux enjeux et de nouveaux acteurs.
15:2406/03/2025
Rédigé par FFB Nationale

Les nouveaux besoins en matière de logement

 

Isabelle Baraud-Serfaty rappelle que le logement n’est pas un bien de consommation ordinaire et que le consommateur de logement a de multiples facettes : locataire, propriétaire de logement, habitant, usager des services urbains, riverain, citoyen. À chaque facette, des besoins spécifiques.

 

Ce qui émerge aujourd’hui, c’est la conception du logement comme un service (« as a service »). L’expression désigne ce qu’on appelle également l’économie servicielle c’est-à-dire une bascule du produit vers le service (voire vers la solution), de la possession vers l’usage. Ainsi, dans la mobilité, considérée comme un service, ce qui change, ce n’est pas le trajet que l’on fait, mais le service qui intègrent tous les modes de transport utilisés via une plateforme capable d’agréger les différentes formes de mobilité (transport collectif, mobilité partagée, VTC, vélo) et de proposer une offre globale et un système de paiement unique.

 

Cette tendance peut tout à fait concerner le bâtiment d’autant que précise isabelle Baraud-Serfaty, la manière d’habiter, connaît de profonds changements sous l’effet de l’évolution des modes de vie. On ne vit plus comme avant. Le constat d’une plus grande variabilité de la taille du foyer se combine avec une plus grande variabilité des revenus et des statuts professionnels.

 

Dès lors, on peut imaginer une évolution radicale vers la vente d’usage de logement alors que la proposition de valeur d’un promoteur immobilier est de vendre, à un instant T, X mètres carrés de surface habitable à un client (qui deviendra alors propriétaire de ce logement, et l’occupera ou le louera), Isabelle Baraud-Serty explique qu’une offre de « logement comme service » ne porterait plus sur des biens localisés, mais sur des usages. Elle consisterait à vendre dans la durée un accès à un logement adapté à chacun, pour ses besoins du moment qu’il s’agisse de la composition de son foyer, de ses revenus, de la localisation de son emploi (et du nombre de jours de télétravail), voire en fonction de la période de l’année.

 

Le rôle central du quartier en termes de services

 

De plus en plus, la qualité du quartier devient déterminante notamment par sa capacité à combiner recherche de convivialité et partage de services et d’espaces. Le quartier permet la mutualisation, et donc d’offrir plus de services à moindre prix (par exemple les services de mobilité, qui reposent sur la mise en commun de places de stationnement voire de véhicules — voitures, vélos, trottinettes partagés).

 

Cette mutualisation peut avoir des effets aussi à plus grande échelle. Il est par exemple plus pertinent d’organiser la distribution d’énergie à une maille plus large que celle du bâtiment, notamment pour mieux penser la performance énergétique.

 

Ainsi, le logement sert à se loger, et le quartier permet de vivre. Le quartier correspond à un élargissement de l’offre de logement par la composition d’un bouquet de services : énergie, connexion numérique, services de mobilité, gestion des espaces mutualisés voire accès aux équipements culturels et sportifs, activités communes, offres scolaires et/ou petite enfance, etc.

Les transitions numérique et écologique bouleversent les modes de production et de fonctionnement de la ville

 

Au cours des dernières années, la transition numérique et la transition écologique ont profondément transformé les modes de production et de fonctionnement des villes. La transition numérique a vu l’introduction de technologies avancées comme l’Internet des Objets (IoT) et l’intelligence artificielle (IA), permettant une gestion plus efficace des ressources urbaines, améliorant la circulation, la sécurité publique et les services municipaux. Les plateformes numériques telles qu’Airbnb et Uber ont révolutionné les modèles économiques traditionnels, modifiant les dynamiques de l’immobilier et de la mobilité urbaine.

 

Parallèlement, la transition écologique a imposé des normes strictes en matière de sobriété foncière, énergétique et carbone. Les villes doivent désormais intégrer des matériaux écologiques et concevoir des bâtiments à haute performance énergétique, tout en réhabilitant et recyclant les bâtiments existants pour minimiser l’impact environnemental. De nouveaux modèles économiques, incluant des partenariats public-privé et des financements innovants, sont devenus essentiels pour rendre les projets de construction financièrement viables.

 

En outre, des solutions de mobilité durable, comme les transports en commun électriques et les vélos partagés, sont encouragées pour réduire les émissions de carbone et améliorer la qualité de l’air.

 

Ces transformations visent à créer des environnements urbains plus durables, résilients et efficaces, répondant aux exigences croissantes des consommateurs en matière de durabilité et de modernité.

Quelles sont les conséquences de ces évolutions ?

 

Des frontières neuf/anciens qui vont se brouiller ? L’évolution vers un métier d’« opérateur de logement comme service » peut amener à proposer des logements neufs, anciens ou réhabilités en fonction des besoins et des usages précis de son client à un moment donné.

 

Par ailleurs, la mise en place de certains services peut au final remplacer des infrastructures, comme les services de mobilité partagée qui rendent inutile les places de stationnement attachées au logement par exemple.

 

La distinction public privé sera-t-elle toujours aussi claire ? Services publics et offres privées s’imbriquent de plus en plus, et la frontière entre l’espace public et l’espace privé se brouille également. Il n’est que de voir l’évolution dans l’utilisation des trottoirs.

 

Se pose également la question du client. Dans le logement as a service, l’occupant se trouve au cœur du dispositif alors que, jusqu’à présent, c’était la figure du propriétaire qui structurait les offres immobilières. Dans une économie de type servicielle, le lien direct avec le client est primordial. La fréquence des interactions avec l’habitant- usager-consommateur permettra de mieux le connaître pour lui proposer les offres les plus adaptées à ses attentes.

Zoom sur les grands opérateurs de la ville de demain

 

Les grands opérateurs de la ville de demain incluront une diversité d’acteurs capables de se positionner de manière fine sur des activités ou des ressources rares. Par exemple, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, comme les foncières, joueront un rôle crucial en gérant des aspects spécifiques de la ville avec une grande expertise. Ces foncières seront en mesure de se concentrer sur la gestion fine de ressources spécifiques, telles que les espaces verts ou les infrastructures écologiques, apportant ainsi une valeur ajoutée significative.

 

Les opérateurs spécialisés dans des domaines tels que la nature en ville, ou encore les toitures pourraient également devenir des acteurs majeurs de l’urbanisme de demain. Par exemple, les entreprises qui développent des solutions pour les toitures végétalisées ou les systèmes de collecte d’eau de pluie auront un rôle important à jouer dans la création de villes plus durables et résilientes.

 

En outre, les entreprises qui se concentreront sur des services de proximité auront une place significative dans la ville de demain. Par exemple, la société américaine RIF, qui développe des services de proximité à partir de petits modules installés dans l’espace public, illustre bien cette tendance. Ces services peuvent inclure des solutions de mobilité partagée, des points de recharge pour véhicules électriques, ou des espaces de coworking, répondant ainsi aux besoins quotidiens des habitants tout en améliorant la qualité de vie urbaine.

 

Les investisseurs joueront également un rôle crucial en finançant des projets innovants et durables. Ils devront composer un bouquet de services autour des usages urbains, plutôt que de se concentrer uniquement sur les infrastructures. Cela inclut la mise en place de systèmes de gestion de l’énergie, des déchets, et des ressources en eau, ainsi que la création d’espaces publics multifonctionnels qui favorisent les interactions sociales et la convivialité.

 

En résumé, les grands opérateurs de la ville de demain seront ceux qui sauront se spécialiser dans des domaines clés, offrir des services de proximité, et intégrer des solutions durables et innovantes. Ils devront également collaborer étroitement avec les municipalités, les résidents, et les autres acteurs urbains pour créer des environnements de vie plus résilients, durables, et adaptés aux besoins évolutifs des habitants.

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